CopierCopier dans le presse-papierPour indiquer l’adresse de consultation« Carolus Figulus - Ichtyologia.  », in Bibliothèque Ichtya, état du texte au 27/10/2024. [En ligne : ]
CopierCopier dans le presse-papierSource de référence
Brigitte Gauvin, Ichtyologia, Inter litteras et scientias, Caen, Presses universitaires de Caen, 2019.

Ichtyologia

1. Carolus Figulus salue Johannes, Ulrich, Christophe et Othon, jeunes gens de très grande espérance et à la remarquable vertu, honnêtes hommes, fils de Johannes Sylius.
2. Puisqu’il y a une très grande ingratitude, et, selon certains, une sorte de vol à ne pas reconnaître ni avouer par quels maîtres nous avons été instruits et formés, et puisque vous savez de manière certaine, comme beaucoup d’autres, que j’ai été aidé et instruit dans de nombreux domaines par votre père, je serais assurément bien ingrat, et il faudrait m’infliger le châtiment des voleurs, si je ne rappelais ni ne proclamais les bienfaits dont votre père m’a comblé. Pour cette raison, afin qu’il reste auprès de tous les hommes une trace de ma gratitude et de mon affection envers lui, j’ai confié à la mémoire des Lettres une conversation que nous avons eue à propos des poissons, je lui ai donné la forme d’un dialogue et j’y ai introduit votre père parlant avec moi, comme, vous vous le rappelez, nous avions l’habitude de faire chez vous. Mais j’ai jugé bon de vous dédier cette conversation que nous avons eue sur les poissons afin de vous enflammer pour l’étude de la vertu, suivant l’exemple de votre père. En effet, vous ne devez en effet pas seulement étudier les arts libéraux, mais il convient que vous imitiez votre père ; et vous devez penser que cette imitation de votre père sera pour vous plus utile et plus importante que n’importe quel savoir.
3. Tous, portez-vous bien en Christ.
4. Coblence, de notre Éolie, le 24 mai 1540.
5. Interlocuteurs : Anonyme1explicationComme il l'explique dans l'épître dédicatoire, c'est Carolus Figulus lui-même qui se cache derrière ce pseudonyme. Ce choix révèle sa volonté de laisser toute la place à Sylius.  ; Sylius.
6. Anonyme.
Salut !
7. Sylius.
Salut à toi aussi ; que me vaut l'honneur de ta visite ?
8. An.
Je veux parler avec toi de poissons.
9. Syl.
Ta venue m’est donc très agréable, elle me réjouit même ; mais de quels poissons veux-tu t’entretenir avec moi ? Je suis mosellan, comme tu le sais, et excepté les poissons de la Moselle, j’en connais bien peu.
10. An.
Quoi ? Tu es mosellan ?
11. Syl.
Absolument.
12. An.
Mais moi je croyais que c’étaient les poissons qui naissent dans la Moselle, et non les hommes ! Si tu es mosellan, tu connais sans aucun doute parfaitement les poissons de la Moselle.
13. Syl.
Tu plaisantes, à ton habitude, Anonyme ! Mais cesse de plaisanter, et parle des poissons de mer avec les habitants des côtes et les insulaires ; avec moi, parle des poissons de la Moselle, comme il sied avec un Mosellan.
14. An.
Mais comment parler de choses que j’ignore ? Tu sais que je suis français et, de ce fait, je ne sais pas quels poissons abrite la Moselle.
15. Syl.
Comment est-il possible que tu ignores quels poissons vivent dans la Moselle alors que tu résides depuis trois ans parmi nous comme maître d'école ? Tu dois bien te nourrir parfois de poisson le vendredi, à mon avis.
16. An.
Je m’en nourrirais certes volontiers, si seulement j’en trouvais ; mais tu sais comme c’est difficile de se procurer du poisson dans une telle foule d’ichtyophages2explicationCe dialogue comporte deux références explicites à Érasme. On peut considérer qu'il y en a une ici, implicite, au très long dialogue Ichtyophagia, figurant dans les Colloques, dans lequel un boucher et un poissonnier discutent des interdits alimentaires puis des interdits religieux de toute nature (Érasme, Colloques, vol. 2, traduction et présentation par E. Wolff, Paris, 1992 p. 73-139).
17. Syl.
Je le sais bien ; mais tu as parfois mangé des poissons de Moselle chez moi, ou chez d’autres citoyens de Coblence3explicationCoblence, du latin Confluentes, est une ville située au nord de la Rhénanie-Palatinat, au confluent du Rhin et de la Moselle.
18. An.
J’ai mangé des poissons non seulement de Moselle, mais aussi du Rhin ; et sous peu, j’espère, je mangerai chez toi des carpes, des loups, des goujons, des farios, des ablettes, ou même des écrevisses4explicationNous reviendrons en détail sur les cinq premières espèces plus loin, quand il en sera question dans le dialogue. Les cancros mentionnés ici par C. Figulus ne peuvent être que des écrevisses, les écrevisses à pattes rouges ( Astacus astacus Linné, 1758), les plus appréciées, ou les écrevisses à pattes blanches ( Austropotamobius pallipes Lereboullet, 1858), dont la présence était bien attestée dans les fleuves d'Europe jusqu'au XIXe siècle. Ausone ne les mentionne pas..
19. Syl.
Tu mangeras plutôt des grenouilles !
20. An.
J’aimerais mieux manger des petits oiseaux. Mais allons-y maintenant, parlons enfin des poissons.
21. Syl.
Lesquels, je te prie ?
22. An.
De préférence ceux dont Ausone parle dans sa Moselle6explicationSur ce point, voir notre introduction. Ausone mentionne seize espèces dans son poème ; Figulus les reprend toutes sauf une et en ajoute quelques autres. Dans l'ensemble, il suit l'ordre d'Ausone. … ou plutôt dans la tienne.
23. Syl.
Et par où commencerons-nous ?
24. An.
Par le capito.
25. Syl.
Sais-tu comment on nomme le capito7identificationLe terme latin capito (littéralement « qui a une grosse tête ») peut désigner deux poissons d’eau douce : l’un se caractérise par la taille de sa tête, massive par rapport au corps : c’est le chabot ( Gobius cotto Linné, 1758), dont les noms vernaculaires en français sont têtard, cabot, chaboisseau, séchot ou sassot. Il est présent dans les textes des encyclopédistes médiévaux sous le nom de capito, onis ou capitatus, i (Staedler 1920, 1526). L’autre est le chevaine, graphié aussi chevesne ( Squalius cephalus Linné, 1758), dont les appellations vernaculaires françaises sont vilain, à cause de son alimentation, meunier, de par sa présence près des moulins, cabot, blanc, chevasson ou aitel. Dans la mesure où le terme feuling n’est donné par aucun dictionnaire, il est difficile de savoir de quel capito on parle ici. Si on se réfère au passage correspondant chez Ausone, cependant, on lit : « Le capito écailleux scintille sur les fonds sableux et les algues ; sa chair molle est pleine d'arêtes et sur la table il ne se concserve pas plus de six heures. » L’indication concernant le milieu de vie (fonds sableux et eaux limpides) montre que le capito d’Ausone est le chabot plutôt que le chevaine ; c’est ainsi que le comprend aussi Evelyn White 1919, 231, qui traduit par chub, tandis que Ternes 1972, 45 donne les deux identifications possibles. Marsili 1957, 53 propose la vandoise ( Leuciscus leuciscus Linné, 1758) en allemand ?
26. An.
Je l’ignore.
27. Syl.
Le capito est peut-être le poisson qu’on prend, qu’on vend et qu’on mange avec les fundulis, qu’on nomme aussi grundulis8identificationFundulus et grundulus sont donnés ici comme deux termes équivalents, dont la traduction allemande dans la langue du XVIe siècle serait Grundlin. Actuellement, fundulus est le nom d’un genre qui contient de très nombreuses espèces, appartenant à la famille des fundulidae. Ces poissons d’eau douce de petite taille (10 cm en moyenne), appartenant au large sous-ordre des cyprinodontoidei, vivent sur le continent américain. De la même manière, grundulus a été utilisé pour nommer un genre de poissons téléostéens d’Amérique du sud. On ne peut donc guère se servir de ces indications. Cependant, si grundulus ne se trouve pas dans les dictionnaires latins ni dans les glossaires, le mot fundulus est présent et désigne, sans plus de précision, « un petit poisson qui reste au fond ». Du Cange 1883-1887 s.v. n’hésite pas à préciser qu’il s’agit d’un goujon. Cela correspond bien aux noms vernaculaires cités par Figulus : en effet, le terme allemand Gründling et le mot français vernaculaire grundling désignent bien un poisson européen d’eau douce, le goujon ( Gobio gobio Linné, 1758). Il en sera question de manière spécifique plus loin dans le dialogue sous le nom de gobio. Gesner 1548, f.231v commente ainsi le terme : Fundulus, novo nomine, ein grundel. : « Fundulus : nouvelle appellation pour le goujon »..
28. An.
Comment appelez-vous ces poissons, dans votre langue vulgaire ?
29. Syl.
Nous appelons le capitoein feuling, et le fundulus, ou grundulus, ein gründlin.
30. An.
Quelle différence existe-t-il, selon toi, entre le barbus et le mullus9explicationCes deux poissons que rien ne rapproche à nos yeux de modernes semblent avoir fait l'objet de nombreuses confusions, peut-être dès l'antiquité, ce qui explique la question de Figulus. Gesner 1548, f.231r en témoigne : Barbus vulgo dictus, quem aliqui falso mullum interpretantur, mugilum generi adnumerari posse videtur : ut mugil barbatus dicatur : « Le poisson nommé communément barbus, que certains prennent à tort pour le surmulet, semble pouvoir être compté parmi les espèces de mulets : de sorte qu'on parle de mulet barbu ». Gyllius 1535, 572 écrit de manière plus claire : barbus ex eo nomen duxit, quod similiter ut mullorum natio barbatulus est : huius enim inferius labrum geminis pilis utrinque ornatur. Is etsi piscis est haudquaquam in vulgus ignotus, tamen in sermone Latino ignotius esset nihil, nisi Ausonius suo carmine quod Mosellam inscripsit, illustrasset. « Le barbus tire son nom du fait qu'il porte une barbiche, comme l'espèce des surmulets : sa lèvre inférieure s'orne en effet de deux barbillons de part et d'autre. Même si ce poisson n'est pas du tout inconnu du peuple, il n'y aurait rien cependant de plus obscur dans la langue latine si Ausone ne l'avait rendu célèbre dans son poème intitulé La Moselle. » ?
31. Syl.
Chez Cicéron et Pline, il semble n’y en avoir aucune. Pline, en effet, dit que le mullus10identificationLe mullus de Pline serait le surmullet ( Muletus surmuletus Linné, 1758), à ne pas confondre avec le mulet ( Liza aurata Risso, 1810), qui en latin se dit mugil (Plin. nat. 9, 118-119), ni avec le rouget barbet ( Mullus barbatus barbatus Linné, 1758) : « Au reste il y a plusieurs espèces de surmulets […] ; ils se distinguent par un double barbillon à la lèvre inférieure » (Plin. nat. 9, 58) est un poisson dont la lèvre inférieure s’orne d’un double barbillon ; et Cicéron, dans ses Paradoxes, appelle les mullos barbatulos11explicationParlant des hommes qui se laissent dominer par des passions souvent absurdes, Cicéron utilise deux fois l'exemple des individus épris de leurs poissons, et en particulier de leurs surmulets, qui furent très à la mode pendant une période à Rome (voir par exemple Plin. nat. 9, 171-172 sur la passion des Romains pour les murènes à l'époque impériale) ; il emploie alors une fois l'expression mulli barbati et une autre fois les termes mullos barbatulos : « Et si la vie était rendue à M. Curius […] et qu'il voie un homme, auquel le peuple a accordé les plus grands bienfaits, appeler au bord de son vivier ses mulets barbus et les caresser… » (Cic. parad. V, 2, 8) ; « Nos grands personnages pensent qu'ils touchent le ciel du doigt s'ils ont dans leurs viviers des mulets barbus qui viennent leur manger dans la main » (Cic., Att., II, 1, 7). Contrairement à ce qu'écrit Figulus, Cicéron ne nomme pas les mulets les barbus, ce qui ferait de barbatulos un attribut du COD, mais il emploie ce terme comme adjectif épithète du nom mulet. Selon Saint-Denis 1947, 68-69, les poissons de Cicéron seraient des poissons de mer, les rougets barbets (Mullus barbatus barbatus Linné, 1758).. Mais si le mullus12identificationIl est difficile de savoir de quoi parle Figulus ici ; mais concernant le poème d'Ausone, les commentateurs et traducteurs semblent unanimes pour voir dans le mullus rapidement évoqué un surmulet ( Muletus surmuletus Linné, 1758), comme Ternes 1972, 49, n. 117, Evelyn White 1919, 233 ou Marsili 1957, 13. Le surmulet est cependant un poisson de mer, non anadrome, qui a peu de chance de se trouver dans la Moselle. Gesner 1548, f. 231v en fait la remarque, rejetant la responsabilité d'Ausone sur Figulus : Mullus marinus est ; Carolus Figulus fluviatilem facit et exponit ein möne, Gallis ung monnier : « Le sumulet est un poisson de mer ; Carolus Figulus en fait un poisson de rivière, qu'il nomme möne, et monnier en français. » est le poisson que nous appelons Mönne, nous, les Mosellans, et que les Français appellent « monnier »13explicationCette remarque, comme la suivante (« notre mullus n'est pas barbu ») semble confirmer que Sylius ne parle pas du surmulet mais d'un autre poisson, peut-être le chevaine ou meunier., à ce que je t’ai parfois entendu dire, assurément le mullus diffère beaucoup du barbus14identificationLe barbus latin, qui possède lui aussi un double barbillon, est le barbeau fluviatile (Barbus barbus Linné, 1758). Ses noms vernaculaires allemands sont notamment Barbe, Barben, Barbel, et parmi ses appellations vernaculaires françaises on peut citer barbot, barbet, barbu, barbillon., que nous nous appelons barbe, et vous, en français, « barbiau ». En effet notre mullus n’est pas barbu, alors que le barbus se distingue par un double barbillon. Quant à Ausone, il décrit d’abord le barbus15explicationAuson. Mos. 91-96 : « Et toi, barbeau, après t'être glissé dans les gorges de la Sarre virageuse/ là où l'estuaire bouillonne entre six piles de pierre/, lorsque tu as rejoint un fleuve de plus grande renommée,/ tu nages dans une vaste étendue, plus libre dans tes mouvements. » (traduction personnelle), puis, dans sa description de la perche, il mentionne en passant le mullus, fait une comparaison entre le mullus et la perche, et attribue à chacun des deux une absence de saveur16explicationAusone (Auson. Mos. 115-118) écrit exactement le contraire, et sa remarque ne concerne que la perche : « Et je ne tairai pas ton nom, ô perche, délice des tables,/ poisson de rivière digne des poissons de mer/ seule à rivaliser facilement avec les rouges surmulets ; ton goût est savoureux »). L'édition d'Ausone que possède Figulus est peut-être fautive..
32. An.
Je ne sais que penser ici. Il me semble très vraisemblable que Cicéron et Pline appellent mullus le poisson qu’Ausone nomme barbus, et que le mullus d’Ausone était inconnu de Pline et de Cicéron, ou qu’ils le connaissaient sous un autre nom.
33. Syl.
Ce soupçon, ou plutôt cette opinion, ne me déplaît pas, Anonyme. Mais le thedo17identificationon ne sait pas ce qu'est ce poisson. Dans La Moselle d'Ausone, même son nom est incertain puisque certaines éditions choisissent la leçon rhedo et d'autres, plus rares, thedo. Ausone écrit, dans une énumération : […] et nullo spinae nociturus acumine rhedo : « et le rhedo, qui n'a aucun piquant pour blesser ». Marsili 1957, 53, n. 89 traduit par le mot italien lasca (« gardon ») et suggère que ça pourrait aussi être la lote de rivière (Lota lota Linné, 1758), la loche franche ( Barbatula barbatula Linné, 1758) ou une sorte de lamproie. Evelyn White 1919, 231 en fait lui aussi un gardon (roach), Ternes 1972, 46, signalant le renoncement de Scaliger et de bien d'autres commentateurs d'Ausone à identifier l'animal, suggère cependant la lamproie ou l'anguille., le salar18identificationChez Ausone, tous les commentateurs s'accordent à voir dans le poisson nommé salar une truite ( Salmo trutta Linné, 1758). Il est mentionné deux fois : « Et la truite au dos constellé de points rouges » (v. 88) ; et à propos du poisson fario (ou sario) : « lui qui n'est pas encore saumon et qui n'est plus truite » (v. 129). et la fario19identificationla graphie du mot varie, tous les éditeurs d'Ausone donnant sario à l'exception de Junta, qui graphie fario. Les commentateurs s'accordent à voir également dans ce poisson la truite saumonnée ou truite de mer (Salmo trutta Linné, 1758 ou Salmo fario Linné, 1758) dont le comportement anadrome est similaire à celui du saumon. Evelyn White 1919, 235 ne traduit pas et ne met pas de note., quels poissons sont-ils, à ton avis ?
34. An.
À mon avis, le thedonem est le poisson que l’on appelle couramment truta, que les Picards appellent « une trute ».
35. Syl.
Et toi, quel poisson appelles-tu truta ?
36. An.
Le poisson qui est couramment appelé Forelle20identificationLa Forelle allemande est la truite commune ou truite de mer ( Salmo trutta Linné, 1758). Parmi les termes énumérés par Figulus, salar, fario et truta désigneraient donc une même réalité zoologique à différents stades..
37. Syl.
Mais le salar et la fario, que seront-ils donc ?
38. An.
Ils seront le même poisson, dont j’ai dit qu’on l’appelle couramment Forelle.
39. Syl.
Le thedo, la truta, le salar, la fario sont donc synonymes et désignent le poisson que les Français appellent forelle21explicationFigulus pense peut-être aux Alsaciens, car le terme pour désigner la truite en alsacien est forall , tout comme les Allemands ?
40. An.
Oui.
41. Syl.
Qui te croira ?
42. An.
Ce n’est pas moi qu’il faut croire, mais Ausone, qui écrit des propos de ce genre à propos du thedo et du salar :
Et la truite au dos constellé de points rougesEt le thedo qui n'a aucun piquant pour blesser.
Et un peu plus loin, il écrit ceci à propos de la fario :
Et toi qui, entre deux espèces, n’est ni l’une ni l’autre, et pourtant les deux à la fois,Toi, fario, qui n’es pas encore saumon mais qui n’es plus truite, et qui, à mi-chemin
5
entre deux, es pêchée au milieu de ton existence ?
Tu entends ici que le thedo est une forella petite et encore jeune, qui, lorsqu’elle a grandi, perd son nom et prend celui de salar. Tu entends ici aussi Ausone dire que la fario est un état intermédiaire entre le salar et le saumon, et que la fario est décrite par Ausone en ces termes : la fario est plus adulte que le salar et plus jeune que le saumon ; c’est-à-dire qu'elle n’est déjà plus un salar, et qu'elle n’est pas encore un saumon22explicationC'est en effet ce que dit Ausone qui semble croire que la truite (salar) évolue en truite saumonée (fario) avant de devenir saumon. Il y aurait donc une seule espèce avec trois étapes de croissance, raisonnement que reprend Figulus. La difficulté à différencier jeune saumon et truite explique sans peine cette croyance, et le grand nombre de noms différents attribués au saumon selon les différentes étapes de sa maturation fournit un écho moderne aux propos d'Ausone : en français, par exemple, il s'appelle sucessivement tacon, smolt, saumoneau, castillon ou grilse puis saumon, pour ne citer que quelques-unes de ses dénominations..
43. Syl.
Quelles métamorphoses me racontes-tu là, Anonyme ?
44. An.
Je te raconte les métamorphoses d’Ausone, pas celles d’Ovide !
45. Syl.
Le thedo évolue donc en salar, le salar en fario, le fario en saumon ?
46. An.
C’est ce que je crois.
47. Syl.
Mais en quoi se transforme le saumon ?
48. An.
Le saumon reste le saumon, jusqu’à ce qu’il soit pris par des pêcheurs, que nous le mangions, et qu’il se transforme en aliment de notre corps.
49. Syl.
Ça me semble absurde. Je ne crois pas en effet que les fario se changent en saumon, surtout quand on regarde les petits saumons, qui deviennent saumons en grandissant : aussi apparaît-il que les fario n’évoluent pas en saumons ; ce sont les petits saumons qui évoluent en saumons.
50. An.
Je te l'accorde : le saumon engendre les petits saumons ; chaque animal en effet engendre un autre animal semblable à lui. Ainsi la forella engendre une forella, et non un petit saumon. Mais après que la forella a évolué en saumon, ce saumon ne peut donner naissance qu’à un petit saumon.
51. Syl.
Mais où la fario – ou la forella – subit-elle une métamorphose de ce genre ?
52. An.
Dans la mer. En effet, quand la forella entre dans la mer, elle se transforme aussitôt. De sorte que quand elle revient à son point de départ, on ne l’appelle plus fario ni forella, mais saumon23explicationAprès être né en eau douce, le saumon suit le courant du fleuve et gagne l’océan, où il trouve sa nourriture en abondance et atteint son plein développement. Puis il remonte le cours du fleuve pour retrouver les eaux où il est né et s'y reproduire. La truite de mer a exactement le même comportement, d'où la confusion entre les deux animaux. Le saumon qui entre dans la mer a le plus souvent deux ou trois ans et s'appelle un smolt. Il a subi les transformations nécessaires pour vivre en eaux salées. Une fois entré dans la mer, il se nomme castillon. Il devient adulte entre trois et sept ans et, nommé désormais saumon, il regagne la rivière après un à quatre ans passés en mer (Fishbase).
53. Syl.
Assez parlé des fario ; passons désormais à d’autres poissons.
54. An.
Allons, d’accord.
55. Syl.
À quelle langue, selon toi, appartient le mot perca24identificationIl n'y a aucune difficulté concernant l'identification de la perche ( Perca fluviatilis Linné, 1758), poisson bien connu. Bersich est demeuré le nom utilisé en allemand moderne.  ? Au grec, au latin, au français, à l’allemand ?
56. An.
Perca est un mot emprunté au grec. Car chez eux perca se dit πέρχη ; d’où un adage célèbre chez eux : ἀντὶ πέρχης σκορπίον ἐλαβον, c’est-à-dire : « J’ai attrapé un scorpion à la place d’une perche. » Pour Érasme, cet adage s’emploie chaque fois qu’une personne, cherchant à attraper le meilleur, attrape le pire. Les Français appellent ce poisson « perche » ; mais les Mosellans, comme tu l’as indiqué en note en marge de cet exemplaire d’Ausone que tu m’as offert, appellent la perche bersich.
57. Syl.
Connais-tu ces poissons qu’Ausone appelle les vertes tincas25identificationIl s'agit de la tanche ( Tinca tinca Linné, 1758). ?
58. An.
Je les connais. La tinca est un poisson que les Français appellent, comme les Latins, « une tinche ». Vous, les Mosellans, si je ne m’abuse, ein Schley26explicationOn trouve le mot Schlei (mais aussi Schley, Schleie, Schlein) en allemand moderne, mais il existe une appellation vernaculaire française très proche, schleie. , à cause de sa viscosité27explication Schleim signifie mucus, glaire..
59. Syl.
C’est bien ça.
60. An.
Comment appelles-tu les alburnos28identificationL'alburnus est l'ablette ( Alburnus alburnus Linné, 1758). en langue vulgaire ?
61. Syl.
À mon avis, les alburni sont ces poissons que dans notre langue nous appelons Albellen.29explicationL'ablette ne possède pas moins d'une cinquantaine de noms vernaculaires en allemand (fishbase). Albellen est fourni par Gesner 1548, f.231r : Alburnus. Auson. Ein albel/ albellen.
62. An.
Alburnus est aussi le nom d’une montagne30explicationVoir Verg. georg. 3, 147 : Est lucos Silari circa ilicibusque uirentem/ plurimus Alburnum uolitans : « Aux alentours des bois du Silare et de l'Alburne, que verdissent les yeuses, pullule un insecte ailé. » L'Alburnus est une montagne de Lucanie..
63. Syl.
Mais chez Ausone, alburnus est le nom d’un poisson ; et je présume qu’on a donné ce nom aux deux choses à cause de leur couleur31explicationEn latin, l'adjectif albus, a, um signifie « blanc »..
64. An.
L’alburnus est donc ce petit poisson blanc qu’au moment du carême tu élevais chez toi, dans une citerne, avec deux carpes, quelques goujons, des macrellis, des prasmis et des rubiculis32explicationCes cinq espèces vont être traitées l'une après l'autre par la suite ; nous les étudierons alors. Excepté le goujon, aucune d'elles ne figure dans le poème d'Ausone, par rapport auquel la description des viviers de Sylius constitue un excursus.
65. Syl.
Oui, je pense. Mais quels poissons nommes-tu carpes33identificationC'est la carpe commune ( Cyprinus carpio Linné, 1758). , Anonyme ?
66. An.
À l’exemple d’Érasme, j’appelle « carpes » les poissons que d’autres appellent carpones et carpiones34explicationLes formes latines carpo et carpio sont attestées dans le Glossarium mediae et infimae latinitatis de Du Cange et désignent la carpe, comme carpera et carpa. En français, on trouve parmi les synonymes de carpe les mots carpeau et carpo (fishbase). Sur la carpe, voir C. Jaquemard, B. Gauvin, M-A Lucas-Avenel, Hortus sanitatis Livre IV, Les poissons, Caen, 2013, p.97-98..
67. Syl.
Mais gobius35identificationLe terme gobius ne pose pas de difficulté ; en latin classique comme chez Ausone, c'est le goujon ( Gobio gobio Linné, 1758), si je ne me trompe, est davantage un mot allemand que latin. Car en langue vulgaire nous appelons ce poisson ein göbe ; par conséquent le mot gobius me semble tiré du nom de gobio, de la troisième déclinaison, qu’utilise Ausone.
68. An.
Gobius vient d’un mot grec, car Aristote appelle ce poisson ὁ κωβιός. Le même poisson est appelé par les Français « ung gouvion36explicationGouvion est en effet une des appellations vernaculaires françaises pour désigner le goujon. ».
69. Syl.
Crois-tu que le gobius ou le gobio est le poisson que nous, Mosellans, appelons ein göbe ?
70. An.
Pourquoi pas ?
71. Syl.
D’où déduis-tu cela ?
72. An.
Pour l’essentiel à partir de nos dénominations vulgaires, qui correspondent aux dénominations grecques et latines, puis à cause de la description du goujon qui se trouve chez Ausone, dans ta chère Moselle. Voici ce qu’Ausone, en effet, écrit sur le goujon :
Toi aussi, tu dois être mentionné parmi les troupes du fleuve,Goujon, dont la longueur n’excède pas les deux mains sans les pouces,gras, arrondi , au ventre très gonflé quand il est plein d'œufs ;tu imites les barbillons du barbeau barbu.
Le goujon est un petit poisson de deux paumes de longueur, très gras, rond, qui a de nombreux œufs dans son ventre, avec une petite barbe comme le barbeau. Cette description ne correspond-elle pas au poisson que vous, les Mosellans, appelez ein göbe ?
73. Syl.
Assurément, Anonyme. Quant à la macrella37identificationIl nous est impossible de savoir quel animal désigne ce terme que Sylius considère comme français et allemand mais qui ne figure dans aucun dictionnaire sinon pour désigner un poisson de mer, le maquereau ( Scomber scombrus Linné, 1758), qui se dit par exemple Makrele en allemand et Mackerel en anglais. Le féminin du mot allemand incite à rapprocher macrella et Makrele. Concernant le français, une ordonnance de 1680 citée par Littré 1873-1877, s. v., mentionne « la salaison des scélans, maquerelles et autres petits poissons qui servent d’appas » : s’il est difficile de savoir quelle est la nature de ces « maquerelles », il est évident, vu le contexte, que ce sont de petits poissons de mer, bien différents du brochet. Le rapprochement entre les deux animaux est peut-être simplement une erreur de Figulus comme semble en juger Gesner 1548, f.231v : Lucius : ein hecht. ung brochet uel bechet Gallis. Carolus Figulus Lucium Ausonii suspicatur esse macrellam vulgo dictam et lupum exponit ein hecht, quod non probo : Lucius : le brochet. Carolus Figulus pense que le lucius d’Ausone est le poisson communément appelé macrella et appelle le brochet lupus, ce que je conteste., à mon avis, c’est un mot français ou allemand. Car « macrelle » est un mot connu des Français aussi bien que des Allemands. Et je désire vivement apprendre de toi comment la macrella est appelé par Ausone.
74. An.
Je pense que la macrella, chez Ausone, est appelée lucius38explicationen latin le terme lucius désigne le brochet ( Esox lucius Linné, 1758). Linné l’a utilisé pour la nomenclature binominale ; on en trouve la trace dans l’ancien français luz et le portugais lucio. Il semble qu’Ausone soit le premier à employer le mot comme le remarque Rondelet 1555, II, 188 : Ausonius primus ex Latinis, quod sciam, Lucii nomine usus est, deducto, ut opinor, a graeco nomine λυκός quod lupum significat, quia inter fluviatiles sit voracissimus et edacissimus, quemadmodum inter marinos Lupus : « Ausone est le premier parmi les Latins, que je sache, à avoir utilisé le nom lucius, tiré, à mon avis, du grec λυκός, “le loup”, parce que, parmi les poissons de rivière, il est le plus vorace et le plus glouton, comme le loup parmi les poissons de mer. ».
75. Syl.
Tu ne penses pas bien, Anonyme ; le lucius est en effet le poisson qu’on appelle aussi lupus39explicationChez Pline (Plin. nat. 32, 11), le brochet n’est pas mentionné, et le poisson appelé lupus est le poisson de mer appelé loup ou bar ( Dicentrarchus labrax Linné, 1758). Il en va de même chez Isidore de Séville (Isid. orig. 12, 6, 5 ; 12, 6, 24) qui ne mentionne que le loup, ainsi nommé, dit-il, en raison de sa voracité, auquel il attribue le comportement décrit par Pline. Au Moyen Âge, Thomas de Cantimpré brouille les pistes : fasciné par la férocité du brochet, il utilise le nom lucius mais lui adjoint les périphrases lupus aquatilis et lupus aquaticus (TC 7, 48) ; il sera suivi par les autres encyclopédistes, comme Albert le Grand (24, 73). La confusion demeure à l’époque contemporaine puisque l’un des noms du brochet aux États-Unis et au Canada est wolf. En marge du passage, l’éditeur a ajouté un terme français ung beschet. C’est une des anciennes appellations du brochet qu’on trouve, par exemple, dans Le ménagier de Paris (II, 101).
76. An.
Sur quelle autorité t’appuies-tu, Sylus, ou par quelles raisons justifies-tu cela ?
77. Syl.
Un peu partout, même chez les érudits, j’entends employer lucius et lupus pour désigner le poisson qu’en langue vernaculaire nous nommons ein hecht40explication Hecht est bien le terme vernaculaire allemand pour désigner le brochet ; ce mot est aussi utilisé en français dans les régions de l’est (Fishbase) ; et selon les grammairiens, on dit lucius pour lycius, qui vient du grec λυκός, c’est-à-dire le loup.
78. An.
Certes, on peut voir chez Ausone que le lucius est un autre poisson que le lupus. Car Ausone écrit que le lucius est un poisson sans valeur, qui se plaît dans les trous et les lieux obscurs et fangeux41explicationLa remarque d’Ausone peut paraître étonnante : « Ici se trouve aussi le lucius, affublé d’un nom latin qui fait rire, habitant des étangs, implacable ennemi des grenouilles bruyantes ; il est en embuscade dans les trous obscurs, dans les herbes et la vase. Il ne constitue ni un mets recherché, ni une nourriture utile ; on le fait bouillir dans les tavernes fétides qu’il empeste. » La description correspond bien au brochet, mais le jugement sur ses qualités gustatives paraît sévère, d’autant plus que le brochet était très apprécié au Moyen Âge, comme en témoigne Le Ménagier de Paris, ainsi qu’ au XVIe siècle (voir J.-Ph. Derenne, Cuisiner en tous temps, en tous lieux, L’amateur de cuisine 3, Fayard, Paris, 2010). Il est vrai, comme le note Plin. nat. 9, 60 à propos de l’esturgeon, que l’appréciation gustative peut changer radicalement d’une époque à l’autre, et c’est en ce sens que Gyllius 1535, 573 commente le vers d’Ausone sur le brochet.)  ; alors qu’il range le loup parmi les poissons les plus dignes d’éloge42explicationIl est difficile de comprendre d’où vient cette remarque, car Ausone ne mentionne pas le loup.. Quant au fait que le poisson lucius ne vient pas du mot λυκός, je le prouve parce que λυκός abrège sa première syllabe, tandis que chez Ausone lucius allonge l’antépénultième43explication L’observation prosodique est exact : le u de lucius est long, et l’upsilon de λυκός est bref.. Pour cette raison, à ce que je crois, lucius vient de lux44explicationL’étymologie du mot lucius est incertaine ; Ernout-Meillet 1959, s.v., indique : « Certains voient dans ce nom d’animal un surnom romain, Lucius, donné par plaisanterie au poisson […] mais les anciens rattachent lucius à lux [la lumière]., car il la fuit, et c’est ce poisson qu’on appelle couramment macrella. Mais je te laisse juge de cela, ainsi que d’autres, plus savants <que moi>.
79. Syl.
Mais d’où vient cette appellation de loup ?
80. An.
De son goût pour la chasse ; en grec, on l’appelle ὁ λάβραξ, suite à sa voracité45explicationL’adjectif grec λαβρός désigne un individu excessif dans la nourriture et la boisson. ; il existe aussi un diminutif de lupus, lupulus, qui en allemand se dit ein hechelyn.
81. Syl.
Et appelles-tu prasmum46identificationLe terme prasmum n’existe pas. Faut-il lire prasinum ? Cela ne semble pas correspondre à un nom de poisson, mais c’est une indication de couleur, vert vif, qui ne serait pas absurde dans une énumération où deux autres poissons sont désignés par cette caractéristique. Plusieurs espèces comportent le terme prasinus dans leur dénomination binominale comme la murène verte ( Gymnothorax prasinus Richardson, 1848). Mais, en l’absence de toute autre indication, cela ne nous permet guère de comprendre de quel poisson il s’agit, et le nom allemand ne nous aide guère. On trouve cependant un recours dans Gesner 1548, f229v, avec l’indication suivante : Prasinus, ut quidam hodie uocant, Bresme Gallis, Brachssmen/ Presem Germanis, in lacubus et oceano capitur et quietioribus fluviis. Ce poisson pourrait donc être la brême ( Abramis brama Linné, 1758) le poisson que nous, en langue vulgaire appelons presem, et rubiculum47identificationIl est difficile de savoir à quel poisson pense Figulus ici. Le nom rubiculus, qui n’existe pas en latin classique, est attesté dans Du Cange 1883-1887, s.v., pour désigner un poisson de rivière non identifié mais de chair excellente. On a une dénomination plus précise avec le nom allemand Rotaugen, « yeux rouges », qui désigne le gardon (Rutilus rutilus Linné, 1758), mais la chair de ce poisson est considérée comme très médiocre. L’appellation grecque ἐρυθρόφθαλμον qui, comme Rotaugen, signifie littéralement « yeux rouges » n’apporte pas d’argument décisif : pour Rondelet 1555, 205, c’est le vairon ( Phoxinus phoxinus Linné, 1758). Mais, comme l’explique Cyprianus 1688, 2929, à propos des différents noms de l’alburnus : Circa Acronium lacum ab oculis rubicundis Rotengle, id est ἐρυθρόφθαλμον dicitur, quod tamen nomen aliis etiam convenire ex ante dictis XLVI et LXXII manifestum est (« Dans les environs du lac de Constance <l’ablette> est appelée, à cause de ses yeux rouges, Rotengle, c’est-à-dire ἐρυθρόφθαλμον ; cependant ce nom peut s’appliquer à d’autres poissons, comme on l’a vu précédemment ch. 46 et 72. »)., celui que nous appelons Rotaugen et que les Grecs appellent ἐρυθρόφθαλμον ?
82. An.
Oui.
83. Syl.
Et quels poissons, à ton avis, sont les alausas49identificationalausa, ae désigne sans ambiguïté l’alose ( Alosa alosa Linné, 1758), poisson anadrome courant dans les rivières européennes et dans les estuaires. ?
84. An.
D’après moi, les alausas d’Ausone50explicationAusone ne consacre qu’un vers à ce poisson, dans une énumération de poissons courants : « Les aloses grillées sur le feu, délices du peuple » sont les poissons que mon hôte Botzemius a l’habitude d’appeler alsas, nom de la première déclinaison, et alsones, nom de la troisième déclinaison ; en langue vulgaire, vous appelez cette espèce alsen ; ce poisson annonce l’arrivée du printemps aux riverains de la Moselle et du Rhin. Au mois de mai, ou aux environs, dès qu’ils entendent le tonnerre, ces poissons se réfugient dans la mer51explicationL’information est présente chez Rondelet 1554, 220, sans indication de source , et le tonnerre les effraie à un point tel qu’on retrouve beaucoup d’entre eux morts de peur sur les rives du Rhin et de la Moselle.
85. Syl.
C’est ce qu’on dit. Maintenant, dis-moi, quel poisson est, selon toi, le silure53identificationLe terme silure désigne sans doute le silure glane ( Silurus glanis Linné, 1758), poisson qui peut atteindre jusqu’à 5m de longueur et peser jusqu’à 300kg. Mais il n’existe pas dans la Moselle, ce qui a donné lieu à deux explications possibles chez les commentateurs d’Ausone : soit le silure fait partie des poissons ajoutés par Ausone pour doter la Moselle d’un animal de grande taille, digne des dauphins et baleines qui peuplent l’océan ; soit le mot silurus désigne chez Ausone un autre poisson, l’esturgeon, qui fait bien partie des poissons qu’on trouve dans la Moselle et le Rhin. Cette hypothèse est renforcée par le fait que l’ambiguïté existait déjà dans l’antiquité comme le rappelle Marsili 1957, 56-57, n.135. ? Je m’étonne qu’Ausone le classe parmi les poissons de Moselle, puisque jamais nous n’avons vu de silure dans la Moselle. Je ne crois pas en effet que le silure soit le même poisson que l’esturgeon.
86. An.
Je ne peux rien décider à propos d’un poisson que je ne n’ai jamais vu moi-même. Et toi, tu ne peux pas décider si le silure et l’esturgeon sont de la même espèce ou d’espèces différentes si tu ne vois ni ne connais le dauphin.
87. Syl.
J’ai vu l’esturgeon, et je le connais bien ; nous l’appelons en langue vulgaire ein Stör. Mais des dauphins, je n’en ai jamais vu, et je ne connais cet animal qu’en représentation.
88. An.
Il a la bouche sous le rostre, presque au milieu du ventre, le dos bombé, le rostre camus, d’où son surnom de Simon qu’il reconnaît ; il a une langue semblable à celle du porc54explicationMalgré son assurance apparente, Figulus n’a pas vu de dauphin non plus : la description qu’il en donne est composée d’éléments tirés de Plin. nat.20-23.  ; n’était-il pas ainsi, le dauphin que tu as vu représenté ?
89. Syl.
En tout point.
90. An.
L’esturgeon a-t-il les mêmes caractéristiques ?
91. Syl.
Les mêmes, je pense55explicationMalgré ses affirmations, Sylius ne semble pas mieux connaître l’esturgeon que le dauphin. ; mais pourquoi cette anxiété dans tes questions ?
92. An.
Parce que, si l’esturgeon était un poisson semblable au dauphin, alors silure, dauphin et esturgeon seraient des synonymes et désigneraient ce poisson que vous appelez ein Stör.
93. Syl.
Qui dit que le silure est un dauphin ?
94. An.
Ausone, car voici ce qu’il écrit sur le dauphin : « Je pense que <le silure> est le dauphin du fleuve. »56explicationAu lieu de comprendre cela, il semble que Figulus comprenne : « Je pense que le dauphin est un habitant du fleuve » ; cela expliquerait la confusion qui domine ce passage. Et après avoir dit que le silure égale en grandeur les baleines des mers, il a ajouté une différence :
10
Mais lui, cependant, cette paisible baleine de notre Moselle
N’a rien d’un fléau ; il est un honneur de plus pour ce grand fleuve.
Comme s’il voulait dire que les baleines sont dangereuses, alors que le silure ne fait de mal à personne. Et cela correspond au dauphin, dont les auteurs disent qu’il est ami de l’homme.
95. Syl.
Il nous reste à parler du poisson mustella57identificationLa belette (latin mustela et grec γαλῆ), souple et allongée, a donné son nom à un poisson anguiforme que De Saint-Denis 1947, 73-74, et D’Arcy Thompson 1947, 168, identifient comme la lote d’eau douce ( Lota lota Linné, 1758, ou Gadus Lota Linné, 1758). On l’appelle encore moutelle, mustèle, motelle. Mais la mustella d’Ausone partage les commentateurs. Si certains, comme Evelyn White 1919, 233 ou Ternes 1972, 48, y voient bien la lote de rivière, d’autres, comme Marsili 1957, 54, n. 107, présentent l’éventualité qu’il s’agisse de la lamproie (voir infra). Bien qu’ils recouvrent des réalités zoologiquement très diverses, les trois termes mustela, murena et lampreta/ lampreda étaient confondus dès l’antiquité et l’étaient encore au XVIe siècle : Gesner1558, 696, par exemple, intitule un chapitre De mustela sive lampetra. , qu’Ausone a aussi chanté dans sa Moselle. Les érudits pensent que la mustella est le poisson qu’on appelle ailleurs lampetra58identificationLa lampetra est la lamproie ; dans la Moselle, on trouve la lamproie de rivière (Lampetra fluviatilis Linné, 1758) ou lamproie de Planer (Lampetra Planeri Bloch, 1784), mais aussi la lamproie marine (Petromyzon marinus Linné, 1758) qui peut parcourir jusqu’à 500 km en remontant les fleuves. La description d’Ausone peut correspondre à ces deux dernières espèces. d’après sa coutume de lécher les pierres59explication Lampetra est le nom latin de la lamproie ; on trouve aussi lampreda, ae. L’étymologie proposée par Figulus à partir de lambo, « lécher », et petra, « pierre », n’est pas attestée, mais elle est courante (voir par exemple N. Perotti cité par Du Cange 1883-1887, s.v., : Mustelæ, quas a lambendis petris vulgo nunc Lampetras nominant : « Les mustèles, qu’on appelle désormais couramment lamproies, parce qu’elles lèchent les pierres. »), en allemand, ein Lampreth, et en français, si je ne m’abuse, « une lamproye ».
96. An.
C’est ainsi, Sylius, si seulement nous suivons Ausone, qui écrit que la mustella a, sur le dos, des points entourés de jaune, de noir et de bleu sombre faisant comme la ceinture d’Iris, qu’on appelle ailleurs « arc-en-ciel » ; qu’elle est grosse au milieu du corps, fine et sèche autour de la queue ; et qu’on l’attrape grâce à l’écume qui dénonce sa présence ; toutes ces indications prouvent assurément que la mustella est le poisson qu’on appelle couramment lampetra ou lamprena.
97. Syl.
Pourquoi Ausone n’a-t-il rien écrit sur les anguilles, les murènes et les nombreux autres poissons que nourrit la Moselle ?
98. An.
Parce que, comme prophète, il savait que tu écrirais sur les autres !
99. Syl.
Mais s’il te plaît, Anonyme, sonnons désormais la retraite, car il est temps de dîner. Nous parlerons plus longuement des autres poissons plus tard, quand nous en aurons le loisir.
100. An.
Eh bien, porte-toi bien d’ici là !
101. Syl.
Et toi, porte-toi bien, éternellement !

Notes d'identification :

7. Le terme latin capito (littéralement « qui a une grosse tête ») peut désigner deux poissons d’eau douce : l’un se caractérise par la taille de sa tête, massive par rapport au corps : c’est le chabot ( Gobius cotto Linné, 1758), dont les noms vernaculaires en français sont têtard, cabot, chaboisseau, séchot ou sassot. Il est présent dans les textes des encyclopédistes médiévaux sous le nom de capito, onis ou capitatus, i (Staedler 1920, 1526). L’autre est le chevaine, graphié aussi chevesne ( Squalius cephalus Linné, 1758), dont les appellations vernaculaires françaises sont vilain, à cause de son alimentation, meunier, de par sa présence près des moulins, cabot, blanc, chevasson ou aitel. Dans la mesure où le terme feuling n’est donné par aucun dictionnaire, il est difficile de savoir de quel capito on parle ici. Si on se réfère au passage correspondant chez Ausone, cependant, on lit : « Le capito écailleux scintille sur les fonds sableux et les algues ; sa chair molle est pleine d'arêtes et sur la table il ne se concserve pas plus de six heures. » L’indication concernant le milieu de vie (fonds sableux et eaux limpides) montre que le capito d’Ausone est le chabot plutôt que le chevaine ; c’est ainsi que le comprend aussi Evelyn White 1919, 231, qui traduit par chub, tandis que Ternes 1972, 45 donne les deux identifications possibles. Marsili 1957, 53 propose la vandoise ( Leuciscus leuciscus Linné, 1758) | 

8. Fundulus et grundulus sont donnés ici comme deux termes équivalents, dont la traduction allemande dans la langue du XVIe siècle serait Grundlin. Actuellement, fundulus est le nom d’un genre qui contient de très nombreuses espèces, appartenant à la famille des fundulidae. Ces poissons d’eau douce de petite taille (10 cm en moyenne), appartenant au large sous-ordre des cyprinodontoidei, vivent sur le continent américain. De la même manière, grundulus a été utilisé pour nommer un genre de poissons téléostéens d’Amérique du sud. On ne peut donc guère se servir de ces indications. Cependant, si grundulus ne se trouve pas dans les dictionnaires latins ni dans les glossaires, le mot fundulus est présent et désigne, sans plus de précision, « un petit poisson qui reste au fond ». Du Cange 1883-1887 s.v. n’hésite pas à préciser qu’il s’agit d’un goujon. Cela correspond bien aux noms vernaculaires cités par Figulus : en effet, le terme allemand Gründling et le mot français vernaculaire grundling désignent bien un poisson européen d’eau douce, le goujon ( Gobio gobio Linné, 1758). Il en sera question de manière spécifique plus loin dans le dialogue sous le nom de gobio. Gesner 1548, f.231v commente ainsi le terme : Fundulus, novo nomine, ein grundel. : « Fundulus : nouvelle appellation pour le goujon ». | 

10. Le mullus de Pline serait le surmullet ( Muletus surmuletus Linné, 1758), à ne pas confondre avec le mulet ( Liza aurata Risso, 1810), qui en latin se dit mugil (Plin. nat. 9, 118-119), ni avec le rouget barbet ( Mullus barbatus barbatus Linné, 1758) : « Au reste il y a plusieurs espèces de surmulets […] ; ils se distinguent par un double barbillon à la lèvre inférieure » (Plin. nat. 9, 58) | 

12. Il est difficile de savoir de quoi parle Figulus ici ; mais concernant le poème d'Ausone, les commentateurs et traducteurs semblent unanimes pour voir dans le mullus rapidement évoqué un surmulet ( Muletus surmuletus Linné, 1758), comme Ternes 1972, 49, n. 117, Evelyn White 1919, 233 ou Marsili 1957, 13. Le surmulet est cependant un poisson de mer, non anadrome, qui a peu de chance de se trouver dans la Moselle. Gesner 1548, f. 231v en fait la remarque, rejetant la responsabilité d'Ausone sur Figulus : Mullus marinus est ; Carolus Figulus fluviatilem facit et exponit ein möne, Gallis ung monnier : « Le sumulet est un poisson de mer ; Carolus Figulus en fait un poisson de rivière, qu'il nomme möne, et monnier en français. » | 

14. Le barbus latin, qui possède lui aussi un double barbillon, est le barbeau fluviatile (Barbus barbus Linné, 1758). Ses noms vernaculaires allemands sont notamment Barbe, Barben, Barbel, et parmi ses appellations vernaculaires françaises on peut citer barbot, barbet, barbu, barbillon. | 

17. on ne sait pas ce qu'est ce poisson. Dans La Moselle d'Ausone, même son nom est incertain puisque certaines éditions choisissent la leçon rhedo et d'autres, plus rares, thedo. Ausone écrit, dans une énumération : […] et nullo spinae nociturus acumine rhedo : « et le rhedo, qui n'a aucun piquant pour blesser ». Marsili 1957, 53, n. 89 traduit par le mot italien lasca (« gardon ») et suggère que ça pourrait aussi être la lote de rivière (Lota lota Linné, 1758), la loche franche ( Barbatula barbatula Linné, 1758) ou une sorte de lamproie. Evelyn White 1919, 231 en fait lui aussi un gardon (roach), Ternes 1972, 46, signalant le renoncement de Scaliger et de bien d'autres commentateurs d'Ausone à identifier l'animal, suggère cependant la lamproie ou l'anguille. | 

18. Chez Ausone, tous les commentateurs s'accordent à voir dans le poisson nommé salar une truite ( Salmo trutta Linné, 1758). Il est mentionné deux fois : « Et la truite au dos constellé de points rouges » (v. 88) ; et à propos du poisson fario (ou sario) : « lui qui n'est pas encore saumon et qui n'est plus truite » (v. 129). | 

19. la graphie du mot varie, tous les éditeurs d'Ausone donnant sario à l'exception de Junta, qui graphie fario. Les commentateurs s'accordent à voir également dans ce poisson la truite saumonnée ou truite de mer (Salmo trutta Linné, 1758 ou Salmo fario Linné, 1758) dont le comportement anadrome est similaire à celui du saumon. Evelyn White 1919, 235 ne traduit pas et ne met pas de note. | 

20. La Forelle allemande est la truite commune ou truite de mer ( Salmo trutta Linné, 1758). Parmi les termes énumérés par Figulus, salar, fario et truta désigneraient donc une même réalité zoologique à différents stades. | 

24. Il n'y a aucune difficulté concernant l'identification de la perche ( Perca fluviatilis Linné, 1758), poisson bien connu. Bersich est demeuré le nom utilisé en allemand moderne.  | 

25. Il s'agit de la tanche ( Tinca tinca Linné, 1758). | 

28. L'alburnus est l'ablette ( Alburnus alburnus Linné, 1758). | 

33. C'est la carpe commune ( Cyprinus carpio Linné, 1758).  | 

35. Le terme gobius ne pose pas de difficulté ; en latin classique comme chez Ausone, c'est le goujon ( Gobio gobio Linné, 1758) | 

37. Il nous est impossible de savoir quel animal désigne ce terme que Sylius considère comme français et allemand mais qui ne figure dans aucun dictionnaire sinon pour désigner un poisson de mer, le maquereau ( Scomber scombrus Linné, 1758), qui se dit par exemple Makrele en allemand et Mackerel en anglais. Le féminin du mot allemand incite à rapprocher macrella et Makrele. Concernant le français, une ordonnance de 1680 citée par Littré 1873-1877, s. v., mentionne « la salaison des scélans, maquerelles et autres petits poissons qui servent d’appas » : s’il est difficile de savoir quelle est la nature de ces « maquerelles », il est évident, vu le contexte, que ce sont de petits poissons de mer, bien différents du brochet. Le rapprochement entre les deux animaux est peut-être simplement une erreur de Figulus comme semble en juger Gesner 1548, f.231v : Lucius : ein hecht. ung brochet uel bechet Gallis. Carolus Figulus Lucium Ausonii suspicatur esse macrellam vulgo dictam et lupum exponit ein hecht, quod non probo : Lucius : le brochet. Carolus Figulus pense que le lucius d’Ausone est le poisson communément appelé macrella et appelle le brochet lupus, ce que je conteste. | 

46. Le terme prasmum n’existe pas. Faut-il lire prasinum ? Cela ne semble pas correspondre à un nom de poisson, mais c’est une indication de couleur, vert vif, qui ne serait pas absurde dans une énumération où deux autres poissons sont désignés par cette caractéristique. Plusieurs espèces comportent le terme prasinus dans leur dénomination binominale comme la murène verte ( Gymnothorax prasinus Richardson, 1848). Mais, en l’absence de toute autre indication, cela ne nous permet guère de comprendre de quel poisson il s’agit, et le nom allemand ne nous aide guère. On trouve cependant un recours dans Gesner 1548, f229v, avec l’indication suivante : Prasinus, ut quidam hodie uocant, Bresme Gallis, Brachssmen/ Presem Germanis, in lacubus et oceano capitur et quietioribus fluviis. Ce poisson pourrait donc être la brême ( Abramis brama Linné, 1758) | 

47. Il est difficile de savoir à quel poisson pense Figulus ici. Le nom rubiculus, qui n’existe pas en latin classique, est attesté dans Du Cange 1883-1887, s.v., pour désigner un poisson de rivière non identifié mais de chair excellente. On a une dénomination plus précise avec le nom allemand Rotaugen, « yeux rouges », qui désigne le gardon (Rutilus rutilus Linné, 1758), mais la chair de ce poisson est considérée comme très médiocre. L’appellation grecque ἐρυθρόφθαλμον qui, comme Rotaugen, signifie littéralement « yeux rouges » n’apporte pas d’argument décisif : pour Rondelet 1555, 205, c’est le vairon ( Phoxinus phoxinus Linné, 1758). Mais, comme l’explique Cyprianus 1688, 2929, à propos des différents noms de l’alburnus : Circa Acronium lacum ab oculis rubicundis Rotengle, id est ἐρυθρόφθαλμον dicitur, quod tamen nomen aliis etiam convenire ex ante dictis XLVI et LXXII manifestum est (« Dans les environs du lac de Constance <l’ablette> est appelée, à cause de ses yeux rouges, Rotengle, c’est-à-dire ἐρυθρόφθαλμον ; cependant ce nom peut s’appliquer à d’autres poissons, comme on l’a vu précédemment ch. 46 et 72. »). | 

49. alausa, ae désigne sans ambiguïté l’alose ( Alosa alosa Linné, 1758), poisson anadrome courant dans les rivières européennes et dans les estuaires. | 

53. Le terme silure désigne sans doute le silure glane ( Silurus glanis Linné, 1758), poisson qui peut atteindre jusqu’à 5m de longueur et peser jusqu’à 300kg. Mais il n’existe pas dans la Moselle, ce qui a donné lieu à deux explications possibles chez les commentateurs d’Ausone : soit le silure fait partie des poissons ajoutés par Ausone pour doter la Moselle d’un animal de grande taille, digne des dauphins et baleines qui peuplent l’océan ; soit le mot silurus désigne chez Ausone un autre poisson, l’esturgeon, qui fait bien partie des poissons qu’on trouve dans la Moselle et le Rhin. Cette hypothèse est renforcée par le fait que l’ambiguïté existait déjà dans l’antiquité comme le rappelle Marsili 1957, 56-57, n.135. | 

57. La belette (latin mustela et grec γαλῆ), souple et allongée, a donné son nom à un poisson anguiforme que De Saint-Denis 1947, 73-74, et D’Arcy Thompson 1947, 168, identifient comme la lote d’eau douce ( Lota lota Linné, 1758, ou Gadus Lota Linné, 1758). On l’appelle encore moutelle, mustèle, motelle. Mais la mustella d’Ausone partage les commentateurs. Si certains, comme Evelyn White 1919, 233 ou Ternes 1972, 48, y voient bien la lote de rivière, d’autres, comme Marsili 1957, 54, n. 107, présentent l’éventualité qu’il s’agisse de la lamproie (voir infra). Bien qu’ils recouvrent des réalités zoologiquement très diverses, les trois termes mustela, murena et lampreta/ lampreda étaient confondus dès l’antiquité et l’étaient encore au XVIe siècle : Gesner1558, 696, par exemple, intitule un chapitre De mustela sive lampetra.  | 

58. La lampetra est la lamproie ; dans la Moselle, on trouve la lamproie de rivière (Lampetra fluviatilis Linné, 1758) ou lamproie de Planer (Lampetra Planeri Bloch, 1784), mais aussi la lamproie marine (Petromyzon marinus Linné, 1758) qui peut parcourir jusqu’à 500 km en remontant les fleuves. La description d’Ausone peut correspondre à ces deux dernières espèces.

Notes d'explication :

1. Comme il l'explique dans l'épître dédicatoire, c'est Carolus Figulus lui-même qui se cache derrière ce pseudonyme. Ce choix révèle sa volonté de laisser toute la place à Sylius.  | 

2. Ce dialogue comporte deux références explicites à Érasme. On peut considérer qu'il y en a une ici, implicite, au très long dialogue Ichtyophagia, figurant dans les Colloques, dans lequel un boucher et un poissonnier discutent des interdits alimentaires puis des interdits religieux de toute nature (Érasme, Colloques, vol. 2, traduction et présentation par E. Wolff, Paris, 1992 p. 73-139) | 

3. Coblence, du latin Confluentes, est une ville située au nord de la Rhénanie-Palatinat, au confluent du Rhin et de la Moselle | 

4. Nous reviendrons en détail sur les cinq premières espèces plus loin, quand il en sera question dans le dialogue. Les cancros mentionnés ici par C. Figulus ne peuvent être que des écrevisses, les écrevisses à pattes rouges ( Astacus astacus Linné, 1758), les plus appréciées, ou les écrevisses à pattes blanches ( Austropotamobius pallipes Lereboullet, 1858), dont la présence était bien attestée dans les fleuves d'Europe jusqu'au XIXe siècle. Ausone ne les mentionne pas. | 

6. Sur ce point, voir notre introduction. Ausone mentionne seize espèces dans son poème ; Figulus les reprend toutes sauf une et en ajoute quelques autres. Dans l'ensemble, il suit l'ordre d'Ausone.  | 

9. Ces deux poissons que rien ne rapproche à nos yeux de modernes semblent avoir fait l'objet de nombreuses confusions, peut-être dès l'antiquité, ce qui explique la question de Figulus. Gesner 1548, f.231r en témoigne : Barbus vulgo dictus, quem aliqui falso mullum interpretantur, mugilum generi adnumerari posse videtur : ut mugil barbatus dicatur : « Le poisson nommé communément barbus, que certains prennent à tort pour le surmulet, semble pouvoir être compté parmi les espèces de mulets : de sorte qu'on parle de mulet barbu ». Gyllius 1535, 572 écrit de manière plus claire : barbus ex eo nomen duxit, quod similiter ut mullorum natio barbatulus est : huius enim inferius labrum geminis pilis utrinque ornatur. Is etsi piscis est haudquaquam in vulgus ignotus, tamen in sermone Latino ignotius esset nihil, nisi Ausonius suo carmine quod Mosellam inscripsit, illustrasset. « Le barbus tire son nom du fait qu'il porte une barbiche, comme l'espèce des surmulets : sa lèvre inférieure s'orne en effet de deux barbillons de part et d'autre. Même si ce poisson n'est pas du tout inconnu du peuple, il n'y aurait rien cependant de plus obscur dans la langue latine si Ausone ne l'avait rendu célèbre dans son poème intitulé La Moselle. » | 

11. Parlant des hommes qui se laissent dominer par des passions souvent absurdes, Cicéron utilise deux fois l'exemple des individus épris de leurs poissons, et en particulier de leurs surmulets, qui furent très à la mode pendant une période à Rome (voir par exemple Plin. nat. 9, 171-172 sur la passion des Romains pour les murènes à l'époque impériale) ; il emploie alors une fois l'expression mulli barbati et une autre fois les termes mullos barbatulos : « Et si la vie était rendue à M. Curius […] et qu'il voie un homme, auquel le peuple a accordé les plus grands bienfaits, appeler au bord de son vivier ses mulets barbus et les caresser… » (Cic. parad. V, 2, 8) ; « Nos grands personnages pensent qu'ils touchent le ciel du doigt s'ils ont dans leurs viviers des mulets barbus qui viennent leur manger dans la main » (Cic., Att., II, 1, 7). Contrairement à ce qu'écrit Figulus, Cicéron ne nomme pas les mulets les barbus, ce qui ferait de barbatulos un attribut du COD, mais il emploie ce terme comme adjectif épithète du nom mulet. Selon Saint-Denis 1947, 68-69, les poissons de Cicéron seraient des poissons de mer, les rougets barbets (Mullus barbatus barbatus Linné, 1758). | 

13. Cette remarque, comme la suivante (« notre mullus n'est pas barbu ») semble confirmer que Sylius ne parle pas du surmulet mais d'un autre poisson, peut-être le chevaine ou meunier. | 

15. Auson. Mos. 91-96 : « Et toi, barbeau, après t'être glissé dans les gorges de la Sarre virageuse/ là où l'estuaire bouillonne entre six piles de pierre/, lorsque tu as rejoint un fleuve de plus grande renommée,/ tu nages dans une vaste étendue, plus libre dans tes mouvements. » (traduction personnelle) | 

16. Ausone (Auson. Mos. 115-118) écrit exactement le contraire, et sa remarque ne concerne que la perche : « Et je ne tairai pas ton nom, ô perche, délice des tables,/ poisson de rivière digne des poissons de mer/ seule à rivaliser facilement avec les rouges surmulets ; ton goût est savoureux »). L'édition d'Ausone que possède Figulus est peut-être fautive. | 

21. Figulus pense peut-être aux Alsaciens, car le terme pour désigner la truite en alsacien est forall  | 

22. C'est en effet ce que dit Ausone qui semble croire que la truite (salar) évolue en truite saumonée (fario) avant de devenir saumon. Il y aurait donc une seule espèce avec trois étapes de croissance, raisonnement que reprend Figulus. La difficulté à différencier jeune saumon et truite explique sans peine cette croyance, et le grand nombre de noms différents attribués au saumon selon les différentes étapes de sa maturation fournit un écho moderne aux propos d'Ausone : en français, par exemple, il s'appelle sucessivement tacon, smolt, saumoneau, castillon ou grilse puis saumon, pour ne citer que quelques-unes de ses dénominations. | 

23. Après être né en eau douce, le saumon suit le courant du fleuve et gagne l’océan, où il trouve sa nourriture en abondance et atteint son plein développement. Puis il remonte le cours du fleuve pour retrouver les eaux où il est né et s'y reproduire. La truite de mer a exactement le même comportement, d'où la confusion entre les deux animaux. Le saumon qui entre dans la mer a le plus souvent deux ou trois ans et s'appelle un smolt. Il a subi les transformations nécessaires pour vivre en eaux salées. Une fois entré dans la mer, il se nomme castillon. Il devient adulte entre trois et sept ans et, nommé désormais saumon, il regagne la rivière après un à quatre ans passés en mer (Fishbase) | 

26. On trouve le mot Schlei (mais aussi Schley, Schleie, Schlein) en allemand moderne, mais il existe une appellation vernaculaire française très proche, schleie.  | 

27.  Schleim signifie mucus, glaire. | 

29. L'ablette ne possède pas moins d'une cinquantaine de noms vernaculaires en allemand (fishbase). Albellen est fourni par Gesner 1548, f.231r : Alburnus. Auson. Ein albel/ albellen.  | 

30. Voir Verg. georg. 3, 147 : Est lucos Silari circa ilicibusque uirentem/ plurimus Alburnum uolitans : « Aux alentours des bois du Silare et de l'Alburne, que verdissent les yeuses, pullule un insecte ailé. » L'Alburnus est une montagne de Lucanie. | 

31. En latin, l'adjectif albus, a, um signifie « blanc ». | 

32. Ces cinq espèces vont être traitées l'une après l'autre par la suite ; nous les étudierons alors. Excepté le goujon, aucune d'elles ne figure dans le poème d'Ausone, par rapport auquel la description des viviers de Sylius constitue un excursus | 

34. Les formes latines carpo et carpio sont attestées dans le Glossarium mediae et infimae latinitatis de Du Cange et désignent la carpe, comme carpera et carpa. En français, on trouve parmi les synonymes de carpe les mots carpeau et carpo (fishbase). Sur la carpe, voir C. Jaquemard, B. Gauvin, M-A Lucas-Avenel, Hortus sanitatis Livre IV, Les poissons, Caen, 2013, p.97-98. | 

36. Gouvion est en effet une des appellations vernaculaires françaises pour désigner le goujon. | 

38. en latin le terme lucius désigne le brochet ( Esox lucius Linné, 1758). Linné l’a utilisé pour la nomenclature binominale ; on en trouve la trace dans l’ancien français luz et le portugais lucio. Il semble qu’Ausone soit le premier à employer le mot comme le remarque Rondelet 1555, II, 188 : Ausonius primus ex Latinis, quod sciam, Lucii nomine usus est, deducto, ut opinor, a graeco nomine λυκός quod lupum significat, quia inter fluviatiles sit voracissimus et edacissimus, quemadmodum inter marinos Lupus : « Ausone est le premier parmi les Latins, que je sache, à avoir utilisé le nom lucius, tiré, à mon avis, du grec λυκός, “le loup”, parce que, parmi les poissons de rivière, il est le plus vorace et le plus glouton, comme le loup parmi les poissons de mer. » | 

39. Chez Pline (Plin. nat. 32, 11), le brochet n’est pas mentionné, et le poisson appelé lupus est le poisson de mer appelé loup ou bar ( Dicentrarchus labrax Linné, 1758). Il en va de même chez Isidore de Séville (Isid. orig. 12, 6, 5 ; 12, 6, 24) qui ne mentionne que le loup, ainsi nommé, dit-il, en raison de sa voracité, auquel il attribue le comportement décrit par Pline. Au Moyen Âge, Thomas de Cantimpré brouille les pistes : fasciné par la férocité du brochet, il utilise le nom lucius mais lui adjoint les périphrases lupus aquatilis et lupus aquaticus (TC 7, 48) ; il sera suivi par les autres encyclopédistes, comme Albert le Grand (24, 73). La confusion demeure à l’époque contemporaine puisque l’un des noms du brochet aux États-Unis et au Canada est wolf. En marge du passage, l’éditeur a ajouté un terme français ung beschet. C’est une des anciennes appellations du brochet qu’on trouve, par exemple, dans Le ménagier de Paris (II, 101) | 

40.  Hecht est bien le terme vernaculaire allemand pour désigner le brochet ; ce mot est aussi utilisé en français dans les régions de l’est (Fishbase) | 

41. La remarque d’Ausone peut paraître étonnante : « Ici se trouve aussi le lucius, affublé d’un nom latin qui fait rire, habitant des étangs, implacable ennemi des grenouilles bruyantes ; il est en embuscade dans les trous obscurs, dans les herbes et la vase. Il ne constitue ni un mets recherché, ni une nourriture utile ; on le fait bouillir dans les tavernes fétides qu’il empeste. » La description correspond bien au brochet, mais le jugement sur ses qualités gustatives paraît sévère, d’autant plus que le brochet était très apprécié au Moyen Âge, comme en témoigne Le Ménagier de Paris, ainsi qu’ au XVIe siècle (voir J.-Ph. Derenne, Cuisiner en tous temps, en tous lieux, L’amateur de cuisine 3, Fayard, Paris, 2010). Il est vrai, comme le note Plin. nat. 9, 60 à propos de l’esturgeon, que l’appréciation gustative peut changer radicalement d’une époque à l’autre, et c’est en ce sens que Gyllius 1535, 573 commente le vers d’Ausone sur le brochet.)  | 

42. Il est difficile de comprendre d’où vient cette remarque, car Ausone ne mentionne pas le loup. | 

43.  L’observation prosodique est exact : le u de lucius est long, et l’upsilon de λυκός est bref. | 

44. L’étymologie du mot lucius est incertaine ; Ernout-Meillet 1959, s.v., indique : « Certains voient dans ce nom d’animal un surnom romain, Lucius, donné par plaisanterie au poisson […] mais les anciens rattachent lucius à lux [la lumière]. | 

45. L’adjectif grec λαβρός désigne un individu excessif dans la nourriture et la boisson. | 

50. Ausone ne consacre qu’un vers à ce poisson, dans une énumération de poissons courants : « Les aloses grillées sur le feu, délices du peuple » | 

51. L’information est présente chez Rondelet 1554, 220, sans indication de source  | 

54. Malgré son assurance apparente, Figulus n’a pas vu de dauphin non plus : la description qu’il en donne est composée d’éléments tirés de Plin. nat.20-23.  | 

55. Malgré ses affirmations, Sylius ne semble pas mieux connaître l’esturgeon que le dauphin. | 

56. Au lieu de comprendre cela, il semble que Figulus comprenne : « Je pense que le dauphin est un habitant du fleuve » ; cela expliquerait la confusion qui domine ce passage. | 

59.  Lampetra est le nom latin de la lamproie ; on trouve aussi lampreda, ae. L’étymologie proposée par Figulus à partir de lambo, « lécher », et petra, « pierre », n’est pas attestée, mais elle est courante (voir par exemple N. Perotti cité par Du Cange 1883-1887, s.v., : Mustelæ, quas a lambendis petris vulgo nunc Lampetras nominant : « Les mustèles, qu’on appelle désormais couramment lamproies, parce qu’elles lèchent les pierres. »)