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III.

2. [α]  Gn, 21*
7. Innombrables sont les moeurs des poissons, innombrables leurs espèces. Les uns, comme les grands poissons colorés que l’on appelle truites, pondent des œufs et laissent aux eaux le soin de les couver. Par conséquent l’eau anime et crée, et accomplit encore aujourd’hui, comme une loi perpétuelle, le premier ordre qui lui a été donné : c’est une mère douce pour les animaux. Les autres mettent au monde des petits vivants qu’ils font sortir de leur corps, comme les lotes, les chiens de mer, [α] les cètes immenses, les dauphins, les phoques ainsi que les autres de ce genre. Et à ce qu’on prétend, lorsque ces animaux ont donné la vie à leurs petits, si, par hasard, ils perçoivent que quelqu’un prépare quelque piège ou quelque chose d’effrayant près de leur progéniture, pour les protéger ou réprimer l’effroi de leur jeune âge par des marques de tendresse maternelle, ils ouvrent leur bouche, retiennent leur progéniture de leurs dents sans les blesser, les reçoivent aussi à l’intérieur de leur corps, et les dissimulent à l’abri de leur ventre fertile. Quel sentiment humain pourrait égaler ce dévouement des poissons pour leurs petits ? Nous, nous nous satisfaisons de baisers ; eux, il leur faut ouvrir leurs entrailles, y rappeler et recevoir leurs petits intacts, les ranimer en leur transmettant un peu de leur propre chaleur, les nourrir de leur souffle vital et vivre à deux dans un seul corps aussi longtemps qu’il leur faut maintenir leurs petits en sécurité ou les protéger de leur corps, qui sert de rempart contre les dangers. Qui, voyant cela, même s’il pouvait faire de même, ne s’avouerait vaincu face à la piété filiale des poissons ? Qui peut, sans surprise ni admiration, voir que la nature conserve, chez les poissons, des qualités qu’elle ne conserve pas chez l’Homme ? Nombreuses sont les femmes que les soupçons injustes, conçus en tant que belles-mères, ont poussées à s’en prendre à leurs fils et à les tuer. D’autres, poussées par la faim, ont, à ce que nous lisons, dévoré leurs propres enfants ! La mère est devenue un tombeau pour ses enfants humains. Le ventre de la mère des poissons est comme un mur pour sa progéniture et la conserve saine et sauve à l’abri du rempart formé par ses entrailles.
3. 8. Les diverses espèces de poissons ont donc des mœurs diverses : les uns pondent des œufs, les autres engendrent des petits vivants et déjà formés. Ceux qui pondent des œufs ne tissent pas de nids à la manière des oiseaux, ils ne se fatiguent pas par de longues couvaisons ni ne se donnent de mal pour nourrir leurs petits : l’œuf tombe et l’eau le reçoit, telle une tendre nourrice, dans le sein, si l’on peut dire, de sa propre nature et, par une rapide couvaison, en fait un animal. En effet, après avoir été au contact de sa mère, l’œuf, sitôt qu’il a pris vie, tombe et un poisson en sort.
4. 9. Et encore une chose : quelle descendance pure et non souillée ont les poissons ! Aucun poisson ne s’accouple avec un poisson d’une autre espèce que la sienne, il ne s’accouple qu’avec son semblable : le thymalle s’accouple avec un thymalle, le loup avec un loup. Le scorpion de mer conserve pour son espèce la pureté d’une union immaculée. Il a la pudeur de son espèce, mais pas son venin : en effet, le scorpion de mer ne pique pas, il soigne. Les poissons ne connaissent pas les liaisons adultérines avec d’autres espèces, telles que celles qui unissent entre elles les espèces des ânes et des juments, et que les hommes ont grand souci de perpétrer, de même que, à l’inverse, les unions entre ânesses et chevaux, qui sont de vraies corruptions de la nature. En effet, il est plus grave de faire un affront à la nature que de causer du tort à un individu. Et toi, l’homme, tu t’occupes de cela, te faisant l’agent de la liaison contre nature entre les bêtes de somme, et tu estimes que l’animal issu de l’adultère a plus de valeur qu’un animal authentique ? Tu mêles toi-même des races hétérogènes, tu mélanges des semences différentes, tu contrains des bêtes à un accouplement interdit, la plupart du temps contre leur gré, et tu appelles ça du travail ! Et comme tu ne peux pas, par l’union d’espèces différentes, supprimer la fécondité chez les hommes, tu enlèves à l’homme ce qu’il est de naissance, tu prives le mâle de sa virilité et, après l’avoir châtré, tu lui dénies son sexe et tu en fais un eunuque ; si bien que ton audace accomplit ce que la nature a refusé aux hommes.