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VIII.

2. 21. Et puisque nous avons commencé à composer un discours sur la ruse, par laquelle chacun s’efforce d’abuser et de tromper son frère ainsi que de se rendre auteur de nouvelles intrigues, de sorte que quelqu’un qu’on ne peut gagner par la force, on le trompe par fourberie et on lui jette de la poudre aux yeux, je ne laisserai pas de côté la fourberie naturelle du poulpe : celui-ci, quand il a trouvé une pierre dans les eaux peu profondes du rivage, s’accroche à elle et prend sa couleur grâce son art du camouflage ; et comme il donne à son dos le même aspect, les poissons s’approchent en grand nombre, sans soupçonner aucunement la supercherie, puisqu’ils ne font pas attention à l’environnement familier et pensent qu’il s’agit d’un rocher ; le poulpe les enferme dans ses filets avec l’adresse d’un voleur et les fait périr dans les replis de son corps. Ainsi la proie se présente d’elle-même et est prise par des moyens identiques à ceux qu’emploient les personnes qui changent souvent leur nature et inventent diverses manières de nuire pour éprouver spécifiquement les esprits et les sens de chacun : ils prêchent la mesure quand ils sont avec des gens mesurés mais, en société avec des gens sans retenue, ils adoptent les façons de ceux qui se sont écartés de la pratique de la vertu et se sont noyés dans le bourbier des excès ; ainsi ceux qui les entendent ou les voient se fient aisément à eux, sans réfléchir. Et pour cette raison, ne sachant ni comment éviter le piège, ni comment prendre garde au danger, ils y tombent d’autant plus rapidement que, masquée sous le voile de la bienveillance, la fourberie est plus pernicieuse et plus dangereuse. Et, pour cette raison, il faut se méfier de ceux qui tendent de tous côtés, en long et en large, les fils et les ramifications de leurs ruses ou bien revêtent des apparences polymorphes. De fait, ces hommes sont des poulpes, avec leurs innombrables replis et leur habile fourberie, qui leur permet de prendre dans leurs filets tous ceux qui viennent à tomber sur le rocher de leur ruse.
3. 22. Le crabe aussi, quels tours il invente pour se procurer la nourriture ! En effet, il se délecte d’huîtres et recherche leur chair pour ses repas. Mais malgré son appétit pour cette nourriture, il se garde du danger qu’elle lui fait encourir car la chasse en est aussi difficile que dangereuse. Elle est difficile parce que la nourriture est enfermée à l’intérieur d’une coquille très dure : en effet, la nature, traduisant l’ordre souverain, a protégé comme d’une sorte de mur la chair délicate, qu’elle nourrit et protège au milieu du réceptacle creux de la coquille, cavité où la chair se développe. Ainsi tous les essais du crabe sont vains, puisqu’il est absolument impossible d’ouvrir la coquille de l’huître par la force, et il risquerait de se coincer la pince. Le crabe recourt donc à la ruse et prépare frauduleusement un nouveau piège. Ainsi, parce que toutes les espèces sont charmées par le plaisir, il attend le moment où une huître, dans des lieux éloignés de tous les vents, face aux rayons du soleil, ouvre le diptyque de ses valves et en libère le verrou pour faire profiter sa chair du plaisir de l’air libre. En y insérant alors, sans se faire voir, un petit caillou, il empêche l’huître de se refermer et, obtenant l’ouverture du verrou, il fait entrer ses pinces en toute sécurité et se repaît des chairs du coquillage.
4. [α] Verg. georg. 2, 458-459*
23. Il y a donc des hommes qui, à la manière du crabe, usent subrepticement de tromperie avec les autres et pallient leur propre insuffisance par la fourberie : ils trament des ruses contre leur frère, et se repaissent des misères de l’autre. Toi, satisfais-toi de ce qui t’appartient et ne fais pas ta pâture des pertes d’autrui. C’est un bon aliment que la pure innocence. Celui qui s’en tient à ses propres biens ne sait pas tendre un piège aux autres et ne brûle pas des flammes de la cupidité et, pour lui, tout profit perd la vertu et enflamme l’avidité. Et c’est pourquoi la pauvreté, accompagnée de la vérité, est heureuse si elle vient à connaître ses biens et elle doit être préférée à tous les trésors parce que mieux vaut un petit don dans la crainte de Dieu, que de grands trésors sans cette crainte. Combien en faut-il, en effet, pour nourrir un homme ? Ou bien si tu cherches de quoi même satisfaire au plaisir des autres, cela aussi est peu. Mieux vaut recevoir un hôte d’un plat de légumes avec affection que préparer des veaux gras avec rancœur. Usons donc de notre intelligence pour rechercher la grâce et pour préserver notre salut, et non pour abuser l’innocence d’autrui. Qu’il nous soit permis de suivre les exemples de la mer pour gagner notre salut et non pour mettre les autres en danger.[α]