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V.

2. 12. Que dire, en outre, de leur grand nombre de dents ? Ils n’ont pas, en effet, à la manière des bœufs ou des moutons, des dents sur une seule mâchoire, leurs deux mâchoires sont munies de dents : c’est parce qu’ils sont dans l’eau et, s’ils devaient mâcher plus longtemps et ne pas avaler aussitôt, leur nourriture pourrait échapper à leurs dents et se disperser à cause du mouvement des eaux. Ils possèdent des dents serrées et pointues pour vite couper et vite broyer la nourriture, et ainsi l’avaler facilement, sans retard ni délai. Bref, ils ne ruminent pas, si ce n’est le seul scare, que l’on dit ruminant, comme le rapportent ceux qui ont pu remarquer de telles choses, soit par hasard, soit par l’habitude, soit encore par l’étude de ces poissons.
3. 13. Bien sûr, ils n’échappent pas à la violence que génère la puissance de leurs semblables : les plus petits sont partout soumis à la gloutonnerie des plus forts. Plus on est faible, plus on est exposé à devenir une proie. Et, bien que la plupart se nourrisse d’herbes et de petits vers, il y en a cependant qui se dévorent les uns les autres, et se repaissent de leur chair. Le plus petit est, chez eux, la nourriture du plus grand. À son tour le plus grand est lui-même attaqué par un plus fort, et le prédateur de l’un devient la proie d’un autre. C’est pourquoi on en vient à ceci : lorsqu’un poisson en dévore un autre, il est ensuite dévoré lui-même par un troisième et celui qui a été dévoré le premier rejoint, dans le ventre du troisième, celui qui l’avait premièrement dévoré et ainsi, en même temps et dans les mêmes entrailles, se retrouvent le prédateur et sa proie. Cette violence pourrait s’être accrue chez eux de leur propre chef ; de même chez nous, ce n’est pas par la nature, mais par notre cupidité qu’elle est née. Ou bien, puisque les poissons ont été donnés à l’homme pour son usage, ils ont aussi été créés pour nous avertir, pour que nous observions en eux les vices de nos propres mœurs, et que nous soyons attentifs à leur exemple. Qu’aucun puissant n’attaque un plus faible, s’il ne veut pas donner contre lui-même à un plus puissant l’exemple de la violence : celui qui prend un autre au piège prépare les rets dans lequel lui-même peut tomber.
4. [α]  Lc, 16, 22*
14. Et toi aussi, tu es un poisson, quand tu attaques autrui dans sa chair, quand tu noies le faible, quand tu traques celui qui fuit jusque dans les profondeurs. Prends garde, quand tu pars en chasse, à ne pas tomber sur plus fort que toi ; ta proie, évitant tes pièges, pourrait te conduire vers ceux d’autrui, et préfèrerait ourdir ta perte, elle qui redoutait la sienne quand tu la poursuivais. Quelle différence y a-t-il entre le riche, avide et malhonnête, qui engloutit avec voracité le patrimoine des faibles, et le silure, au ventre plein de la chair de petits poissons ? [α] Le riche est mort et ses spoliations ne lui furent utiles en rien. Et même plus : l’infâmie de ses pillages l’a rendu tout à fait détestable. Le silure a été pris et sa proie, découverte dans ses entrailles, ne lui a été d’aucune utilité. Combien de poissons retrouve-t-on à l’intérieur de celui-ci, qui en avaient eux-mêmes mangé d’autres ? Et toi, le riche, tu as englouti le prédateur d’un autre. Celui-là avait les biens d’un pauvre sur lesquels il avait fait main basse : tu as, toi, en le ruinant, ajouté à tes biens le patrimoine de deux autres et tu n’es pas encore satisfait d’un tel profit. Tu dis que tu auras vengé les autres alors même que tu te rends coupable des actions dont tu te venges, toi qui es plus injuste que l’injuste, plus inique que l’inique, plus avare que l’avare. Veille à ne pas connaître la même fin que le poisson : l’hameçon, crains-le, et crains le filet ! Mais tu surestimes ta puissance, tu penses que personne ne peut te tenir tête ; le silure aussi se surestimait, et pensait que personne ne lui jetterait d’hameçon, que personne ne tendrait de filet devant lui, et que, s’il en rencontrait un, il le déchirerait tout entier : il n’a pourtant pas échappé au trident, ou il a rencontré une nasse solidement tressée, dont il n’a pas pu s’évader. Et, sans doute possible, plus une injustice commise par un homme est grave, plus grand sera le risque auquel il s’expose : ainsi il devra un jour s’acquitter de la dette qu’il lui est assurément difficile d’éviter de payer pour le prix de ses crimes.