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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.XXVI. De glamanez [le silure glane1identificationCe poisson (glamanez chez Thomas de Cantimpré, garcanez chez Albert le Grand, gamanem dans l’Hortus sanitatis) est sans doute le silure glane (Silurus glanis Linné, 1758). Les informations sur la manière dont le mâle édifie un nid et veille sur les œufs sont exactes et peuvent suffire à l’identification, retenue par Kitchell & Resnick 1999, 1684. Sur ce poisson, voir D’Arcy Thompson 1947, 43-47.]
[β] Arist. HA, 621 a 21 MS
[γ] Arist. HA, 621 a 28 MS
[δ] TC
[α] Le silure glane est un monstre, à ce que dit Aristote, [β] qui vit dans les eaux des fleuves. Chez ce monstre, le mâle fait preuve d’une très grande sollicitude pour ses petits ; mais la femelle les néglige, s’éloigne d’eux et part à l’aventure dans les eaux. Alors, mû par un attachement naturel envers ses petits, le mâle reste auprès d’eux jusqu’à ce qu’ils grandissent et qu’ils soient capables d’échapper aux poissons ennemis2explicationPline résume ce passage (Plin. nat. 9, 165) : Silurus mas solus omnium edita custodit oua, saepe et quinquagenis diebus, ne absumantur ab aliis, « de tous les poissons, le silure mâle est le seul à veiller sur les œufs après la ponte, souvent même pendant cinquante jours, afin qu’ils ne soient pas dévorés par d’autres ».. [γ] Mais pendant ce temps le père construit autour de ses petits une sorte d’ouvrage, afin de les protéger pendant leur jeune âge3explicationCe détail n’est pas dans le texte grec d’Aristote, qui écrit : « car en écartant les petits poissons il bondit, fait du bruit et pousse un grognement » (Louis 1969, 106). Michel Scot traduit ainsi : facit cum eius orificio opus quoddam et vociferat. On peut s’interroger sur le sens de facit opus cum orificio : opus désigne-t-il un bruit, comme chez Aristote, ou une construction, comme le comprend Thomas de Cantimpré ? Dans ce dernier cas, Michel Scot aurait pu être influencé par l’exemple de l’épinoche, dont le mâle veille sur les œufs et les alevins et construit en effet un nid d’algues pour ses œufs. À moins que ce ne soit Thomas de Cantimpré qui surinterprète le terme opus employé par Michel Scot. Toujours est-il que le mâle silure peut construire une sorte de nid d’herbes, mais il le fait avant la ponte, si les berges n’offrent pas de racines ou de végétaux sur lesquels déposer les œufs. Dans tous les cas, il s’agit d’un nid ouvert. Et comme dans bien des espèces, pendant qu’il veille sur les œufs, le mâle les ventile avec sa queue pour favoriser leur survie.. Et pour effrayer les ennemis, il pousse de grands cris4explicationLes « cris » des poissons sont des sons produits grâce à un muscle associé à leur vessie natatoire ; les sciénidés sont des poissons dont les bruits émis en période de reproduction sont bien connus des pêcheurs. Mais ils n’existent pas chez les silures. ; et il veille constamment sur ses petits. Et si, à cette période, il lui arrive, par malheur, de tomber dans un filet, il le coupe de ses dents très robustes[δ] et, dans ce moment d’inquiétude, il s’évade plutôt grâce à son acharnement que grâce à sa force, puisque le désir de retrouver ses petits lui confère une vigueur inaccoutumée.5explicationCe type d’interprétation anthropomorphique est fréquent chez Thomas de Cantimpré (voir Gauvin 2021).
Notes d'identification :
1. Ce poisson (glamanez chez Thomas de Cantimpré, garcanez chez Albert le Grand, gamanem dans l’Hortus sanitatis) est sans doute le silure glane (Silurus glanis Linné, 1758). Les informations sur la manière dont le mâle édifie un nid et veille sur les œufs sont exactes et peuvent suffire à l’identification, retenue par Kitchell & Resnick 1999, 1684. Sur ce poisson, voir D’Arcy Thompson 1947, 43-47.
Notes d'explication :
2. Pline résume ce passage (Plin. nat. 9, 165) : Silurus mas solus omnium edita custodit oua, saepe et quinquagenis diebus, ne absumantur ab aliis, « de tous les poissons, le silure mâle est le seul à veiller sur les œufs après la ponte, souvent même pendant cinquante jours, afin qu’ils ne soient pas dévorés par d’autres ». |
3. Ce détail n’est pas dans le texte grec d’Aristote, qui écrit : « car en écartant les petits poissons il bondit, fait du bruit et pousse un grognement » (Louis 1969, 106). Michel Scot traduit ainsi : facit cum eius orificio opus quoddam et vociferat. On peut s’interroger sur le sens de facit opus cum orificio : opus désigne-t-il un bruit, comme chez Aristote, ou une construction, comme le comprend Thomas de Cantimpré ? Dans ce dernier cas, Michel Scot aurait pu être influencé par l’exemple de l’épinoche, dont le mâle veille sur les œufs et les alevins et construit en effet un nid d’algues pour ses œufs. À moins que ce ne soit Thomas de Cantimpré qui surinterprète le terme opus employé par Michel Scot. Toujours est-il que le mâle silure peut construire une sorte de nid d’herbes, mais il le fait avant la ponte, si les berges n’offrent pas de racines ou de végétaux sur lesquels déposer les œufs. Dans tous les cas, il s’agit d’un nid ouvert. Et comme dans bien des espèces, pendant qu’il veille sur les œufs, le mâle les ventile avec sa queue pour favoriser leur survie. |
4. Les « cris » des poissons sont des sons produits grâce à un muscle associé à leur vessie natatoire ; les sciénidés sont des poissons dont les bruits émis en période de reproduction sont bien connus des pêcheurs. Mais ils n’existent pas chez les silures. |
5. Ce type d’interprétation anthropomorphique est fréquent chez Thomas de Cantimpré (voir Gauvin 2021).