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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.VI. De cetho [le cète1identificationComme balaena, cetus, du grec κῆτος, désigne de façon générique un grand cétacé dans des récits et des descriptions qui entrecroisent réalité et monstruosité fabuleuse. Pour le traduire, nous avons donc choisi de reprendre le vieux terme français « cète », qui possède la même valeur générique et a pu nommer aussi bien des animaux réels qu’imaginaires. La synonymie de balaena et de cetus est soulignée par Vincent de Beauvais : idem et balaena dicitur. Huius generis est aspidochelone, de quo dictum est supra, « le même animal est aussi appelé balaena. L’aspidochelone, dont on a parlé plus haut, appartient à la même espèce » (VB 17, 41, 4) ; par Marcus d’Orvieto : inuenitur in mari piscis quidam qui uocatur cetus siue balena, « On trouve dans la mer un poisson qu’on appelle cetus ou balena » (Liber de moralitatibus 4, 1, 1) ; ou encore par Albert le Grand, qui reprend l’idée exprimée une fois par Thomas de Cantimpré selon laquelle balaena désigne la femelle et cetus le mâle : cetus est piscis maior qui visus est, cuius femina balaena dicitur, « le cète est le plus grand poisson qu’on ait vu, et sa femelle est appelée la baleine » (AM 24, 14 (23)). Ce sont donc les mêmes grands mammifères marins qui ont pu inspirer les notices consacrées au cète et à la baleine chez les auteurs latins. Pour ceux-ci, en effet, le terme balaena désigne de façon générique un grand mammifère marin et recouvre des espèces que la classification scientifique distribue aujourd’hui entre les cétacés à fanons (Mysticètes) et les cétacés à dents (Odontocètes). Les caractéristiques morphologiques ou comportementales des gros cétacés ont inspiré aux auteurs anciens des descriptions qui entremêlent des observations zoologiques exactes et des exagérations fabuleuses, par exemple sur le gigantisme des baleines ou la qualité de leur instinct maternel. Les citations réunies dans ce chapitre fournissent donc des données trop floues et trop déformées pour permettre le repérage d’espèces précises, dont les Anciens n’avaient sans doute pas une perception clairement différenciée. D’après les monographies rassemblées par Shirihai & Jarrett 2007, plusieurs gros cétacés peuvent être à l’origine des informations délivrées par les Anciens, en particulier par Pline, et leurs aires de répartition entrent bien dans les limites du monde connu par l’homme occidental à l’Antiquité et au Moyen Âge. Ainsi, parmi les cétacés à fanons, la baleine franche des Basques, Eubalaena glacialis Müller, 1776, la baleine à bosse, Megaptera novaeangeliae Borowski, 1781, le rorqual bleu (la baleine bleue), Balaenoptera musculus Linné, 1758, et, parmi les cétacés à dents, le cachalot, Physeter macrocephalus Linné, 1758. Les techniques de chasse moderne mises au point au milieu du XIXe siècle (avec, par exemple, le canon lance-harpon) ont entraîné une diminution considérable des populations de ces cétacés ; la baleine grise, Eschrichtius robustus Lilljeborg, 1861, qui a disparu de l’océan Atlantique au début du XVIIe siècle, vivait autrefois le long des côtes de la Baltique et de la Manche et était donc présente dans des eaux connues des hommes de l’Antiquité et du Moyen Âge.]
[β] Plin. nat.9, 4
[γ] JV Or.90
[δ] ?
[ε] TC?
[ζ] ?
[η] JV Or.90
[θ] Plin. nat.9, 21
[ι] Exp. 5, 13
[κ] Exp. 5, 13
[λ] Arist. HA, 566 b 22-23 MS
[μ] Arist. HA, 566 b 18-19 MS
[ν] Arist. HA, 566 b 3-4 MS
[ξ] Plin. nat.9, 16
[α] De tous les poissons, le cète est le plus grand, à ce que dit Isidore2traductionLa phrase d’Isidore est la suivante : Sunt enim ingentia genera beluarum et aequalia montium corpora: « Ce sont en effet des espèces de bêtes énormes dont le corps égale les montagnes » (André 1986, 187).. [β] La mer nourrit cet animal d’une grandeur de quatre arpents. [γ] Sa bouche est percée d’ouvertures étroites, si bien qu’il n’avale que de petits poissons qu’il dévore grâce à son haleine parfumée3explicationCette indication sur l’haleine parfumée est souvent donnée à propos d’un autre poisson mythique des bestiaires qui ne figure pas dans l’œuvre de Thomas de Cantimpré, l’aspidochelon. 4traductionLa source de Thomas de Cantimpré, Jacques de Vitry, donne evocans (attirant à lui), que Thomas remplace par devorans. Cela explique le manque apparent de cohérence de la phrase dans l’ordre des actions et la répétition d’un même verbe. et les attirant à lui il les engloutit dans son ventre. [δ] Il a en effet dans la gorge une sorte de peau qui ressemble à une membrane, ; percée de nombreuses ouvertures, elle empêche tout ce qui est gros d’entrer dans son ventre. [ε] Il a cependant une bouche grande et large5explicationCette remarque, en dépit des apparences, n’est pas contradictoire avec ce qui précède, et l’ensemble du passage correspond bien à ce que l’on peut observer sur les mysticètes, qui possèdent une large ouverture buccale, mais un étroit réseau de fanons fixés sur les côtés de la mâchoire supérieure. Les fanons jouent le rôle de filtre ; si certains, comme le petit rorqual ou le rorqual à bosse, mangent de petits poissons, d’autres, comme la baleine franche et le rorqual bleu, ne mangent que du krill et de petits invertébrés. Les baleines, selon les espèces, « écrèment » le plancton, en nageant en surface et filtrant en continu l’eau, ou l’« engouffrent », en engloutissant un grand volume d’eau et l’expulsant ensuite à travers leurs fanons. De manière générale, les baleines à fanons privilégient des proies nombreuses, mais de petite taille : elles se nourrissent de zooplancton, mais aussi de bancs de petits poissons, en particulier par la technique de la chasse « au filet de bulles »., qui, croit-on, avala le prophète Jonas, un si petit séjour, assurément, suffisant à un si grand hôte. [ζ] Quand il est jeune, le cète a des dents noires, qui blanchissent surtout quand il vieillit6explicationLa couleur des fanons varie plutôt selon les espèces.. Il a la bouche sur le front7explicationCette observation peut se comprendre à propos des rorquals ou de la baleine noire.. Ces poissons crachent parfois l’eau qu’ils ont avalée, si bien qu’ils engloutissent souvent une flotte sous ce déluge de pluie mais ils font aussi couler des navires par leurs mouvements et les tourbillons qu’ils causent8explicationCette observation peut trouver sa source dans différents passages du livre 9 de Pline qui évoque tant l’eau crachée par les cétacés (Plin. nat. 9, 8 ; 9, 15-16) que les mouvements violents qu’ils peuvent faire (Plin. nat. 9, 5). Le terme latin physeter, qui désigne le cachalot, est un emprunt au grec φυσητήρ, qui signifie littéralement le « souffleur ». Le souffle du rorqual bleu s’élève verticalement en formant une colonne qui peut atteindre 12 m de hauteur, tandis que celui du cachalot, en forme de buisson, est oblique sur 1 à 5 m de hauteur.. [η] , Pour cette raison, quand la tempête se lève sur la mer, ils se dressent au-dessus des flots. [θ] Les baleines, selon Pline, portent leurs petits quand ils sont malades et sans force ; [ι] et, selon l’Experimentator, elles les abritent dans leur gueule quand ils sont petits. Elles font la même chose quand elles voient qu’une tempête menace ; et après la tempête, elles recrachent leurs petits9explicationOn trouve des allusions à la faculté que posséderaient les cétacés de pouvoir reprendre leurs petits à l’intérieur d’eux-mêmes pour mieux les protéger dès l’Antiquité, par exemple chez Ambroise (Ambr. hex. 5, 7). Cela devient ensuite un lieu commun dans les encyclopédies médiévales. Cette tradition bien attestée semble remonter au développement qu’Aristote (Arist. HA 566 b 16-18) consacre aux phoques et aux marsouins, qui a été mal lu par les lecteurs et commentateurs d’Aristote, y compris ceux de l’époque moderne, comme l’a montré L. Bodson. Les traducteurs ont semble-t-il mal interprété le verbe grec εἰσδέχονται au sens de « retirer en eux-mêmes », d’où « cacher dans leur ventre », alors qu’il signifiait simplement « accueillir, accepter à leurs côtés » (Bodson 1983, 398 n. 19, 400-401 n. 30). C’est ainsi que par exemple Louis 1968, 87, traduit le texte d’Aristote : « le dauphin et le marsouin ont du lait et allaitent leurs petits, et ils les retirent en eux-mêmes tant qu’ils sont de taille réduite ». Une observation tout à fait juste d’Aristote sur le comportement parental des dauphins se retrouve, par sa formulation équivoque, à l’origine d’une tradition fabuleuse, qui est sans doute passée facilement aux baleines, dont la taille devait faire croire à leur capacité à ingurgiter leurs petits. L’histoire de Jonas a sans doute aussi facilité cette croyance.. [κ] Quand le petit d’une baleine se trouve dans l’incapacité de suivre sa mère parce qu’il n’y a pas assez d’eau, celle-ci crache en direction de son petit de l’eau qu’elle prend dans sa bouche, formant comme un fleuve, afin de le libérer quand il s’est échoué sur le rivage.[λ] Les mères baleines accompagnent longtemps leurs petits lorsqu’ils sont devenus adultes. [μ] Ces animaux grandissent vite ; leur croissance dure dix ans. [ν] N’ayant pas de branchies, ils respirent par un conduit ; [ξ] ce que font peu d’animaux marins.
[π] ?
[ρ] JV Or.90
[ς] ?
[σ] Bas. hex.7, 4, 5
[τ] Bas. hex.7, 5, 1
[υ] Ambr. hex.5, 11, 32
[ο] Certains cètes sont si grands qu’ils semblent être des îles ou des montagnes. [π] Isidore : ils ont parfois le dos couvert de sable10explicationPeut-être faut-il voir dans ce sable qui recouvre le dos des cètes l’écho de réalités déformées : les cicatrices des cachalots sont colonisées par des algues siliceuses, les diatomées, ou par les poux de mer ; les baleines grises, qui n’avaient pas encore disparu de l’océan Atlantique au Moyen Âge, sont reconnaissables grâce aux plaques d’anatifes qui infestent la peau du baleineau dès sa naissance ; les protubérances de la baleine à bosse peuvent être elles aussi recouvertes de balanes ; la baleine franche de Biscaye arbore d’importantes callosités (dont le « bonnet ») qui abritent des colonies de crustacés. L’origine de la citation, répétée en des termes différents un peu plus loin, n’est pas identifiée, mais ce motif revient fréquemment dans les récits de voyage comme la Navigatio sancti Brendani. ; [ρ] quand les marins, poussés par la tempête, y accostent, heureux d’avoir trouvé une terre sur laquelle s’arrêter et échapper aux flots, ils jettent l’ancre, affalent les voiles et, espérant se reposer, allument des feux sur ce qu’ils prennent pour une terre ferme. Quand la bête sent les flammes, il se met en mouvement brutalement et sans prévenir, plonge et entraîne avec lui dans les profondeurs aussi bien les hommes que les navires. [ς] Basile le Grand dit la même chose qu’Isidore : la baleine porte une grande quantité de sable sur son dos.[σ] Idem :quand tu verras des cètes qui reviennnent, réunis en troupeaux nombreux, tu auras l’impression de voir dévaler un torrent très rapide. [τ] Moi j’ai vu ce spectacle et j’ai admiré la sagesse de Dieu.[υ] Ces monstres sont d’une infinie grandeur dans l’océan Atlantique, à ce que dit Ambroise, au point que tu penseras, en les voyant, que ce sont des montagnes dont les sommets très élevés se dressent jusqu’au ciel.
[φ] Voici comment, dit-on, on capture un cète. Quand il a dépassé l’âge de trois ans, le cète s’accouple avec sa femelle, la baleine11explicationCette analyse qui fait du cète le mâle de la baleine vient-elle de Barthélemy l’Anglais (BA, DPR, 13, 26, 11 : idem autem est cetus et ballaena) ? Elle sera aussi reprise dans le chapitre qu’Albert le Grand consacre au cète (AM, DA, 24, 23 (18)).. Très vite, en plein accouplement, sa verge perd toute capacité de procréer, si bien qu’il ne peut plus s’accoupler ; mais, entrant dans les flots de la haute mer, il grandit à tel point que l’homme n’a plus les moyens de le capturer12explicationCette série d’assertions fabuleuses a pu être alimentée par des observations réelles. Le plus grand des mammifères marins, le rorqual bleu, a un mode de vie solitaire : les rencontres des membres de l’espèce ne semblent pas donner lieu à des échanges sociaux, et les accouplements paraissent le fait du hasard. Par ailleurs, si les cachalots femelles forment des groupes d’une vingtaine d’individus, les mâles, surtout lorsqu’ils vieillissent, semblent vivre de plus en plus seuls. Les grands cétacés disparaissent lors de leurs migrations, mais aussi lors de leurs plongées, qui peuvent durer jusqu’à deux heures et atteindre, pour le cachalot, plusieurs centaines de mètres de profondeur. Chez les cétacés mâles, les testicules sont intra-abdominaux, et le pénis est logé dans les plis cutanés, dont il ne saille que pendant l’érection. Cette particularité anatomique était connue comme en témoigne, par exemple, Albert le Grand, qui en fait la description précise et critique la légende rapportée par Thomas de Cantimpré.. On peut donc l’attraper avant qu’il n’ait trois ans, et, selon le Liber rerum, voici de quelle manière13sourcesSelon Cipriani 2017, 50, la description de cette pêche par échouage serait caractéristique de la Normandie et a notamment été rapportée par Raoul Tortaire ; ce pourrait être une information recueillie par Thomas de Cantimpré auprès d’une source inconnue et introduite sous le couvert d’une référence au Liber rerum. : les pêcheurs, notant le lieu où se trouve le cète, se réunissent là sur de nombreux navires et, donnant un concert de flûtes et de pipeaux autour de lui, ils l’encerclent tandis qu’il les suit : le cète, en effet, aime ce genre de sons14explicationOn trouve le même commentaire à propos du dauphin dans Plin. nat. 9, 24 : « La musique le charme, l’harmonie des instruments et particulièrement le son de l’orgue hydraulique ».. Et quand les pêcheurs le voient immobile près des navires, fasciné par le son de la musique, ils lancent sans se faire voir sur le dos du cète un instrument préparé à cet effet, pointu aux extrémités, ressemblant à un croc hérissé de dents de fer et, <toujours> sans se faire voir, ils s’éloignent. Presque aussitôt, si l’instrument a vraiment blessé l’animal, le cète gagne le fond de la mer et, se frottant le dos sur le fond, il enfonce violemment le fer dans ses blessures, jusqu’à ce que celui-ci, ayant traversé la graisse, atteigne au-dessous la chair vive ; et ainsi l’eau salée de la mer, suivant le fer, pénètre dans la plaie et, l’animal meurt de ses blessures. Une fois mort, le cète flotte sur l’eau, jusqu’à ce que les pêcheurs se dirigent vers sa dépouille, s’en approchent avec des cordes, puis le tirent jusqu’au rivage avec grande joie, car ils sont sûrs d’être bien pourvus grâce à tant de provisions15explicationLes Basques furent vraisemblablement, au haut Moyen Âge, les premiers à s’attaquer en pleine mer aux baleines, que les pêcheurs se contentaient auparavant de traquer près du rivage. La raréfaction progressive des baleines dans le golfe de Biscaye a entraîné le déplacement des lieux de la chasse à la baleine vers le nord de l’Europe (voir Moulinier 1992, 118). Le Liber rerum, que Thomas de Cantimpré indique ici comme source, présente dans cette scène, en dépit d’enjolivements suspects, de nombreux points communs avec la chasse au harpon que décrit, de façon très réaliste, Albert le Grand (AM, DA, 24, 23 (18)). La baleine franche des Basques flotte effectivement à la surface, une fois morte..
Notes d'identification :
1. Comme balaena, cetus, du grec κῆτος, désigne de façon générique un grand cétacé dans des récits et des descriptions qui entrecroisent réalité et monstruosité fabuleuse. Pour le traduire, nous avons donc choisi de reprendre le vieux terme français « cète », qui possède la même valeur générique et a pu nommer aussi bien des animaux réels qu’imaginaires. La synonymie de balaena et de cetus est soulignée par Vincent de Beauvais : idem et balaena dicitur. Huius generis est aspidochelone, de quo dictum est supra, « le même animal est aussi appelé balaena. L’aspidochelone, dont on a parlé plus haut, appartient à la même espèce » (VB 17, 41, 4) ; par Marcus d’Orvieto : inuenitur in mari piscis quidam qui uocatur cetus siue balena, « On trouve dans la mer un poisson qu’on appelle cetus ou balena » (Liber de moralitatibus 4, 1, 1) ; ou encore par Albert le Grand, qui reprend l’idée exprimée une fois par Thomas de Cantimpré selon laquelle balaena désigne la femelle et cetus le mâle : cetus est piscis maior qui visus est, cuius femina balaena dicitur, « le cète est le plus grand poisson qu’on ait vu, et sa femelle est appelée la baleine » (AM 24, 14 (23)). Ce sont donc les mêmes grands mammifères marins qui ont pu inspirer les notices consacrées au cète et à la baleine chez les auteurs latins. Pour ceux-ci, en effet, le terme balaena désigne de façon générique un grand mammifère marin et recouvre des espèces que la classification scientifique distribue aujourd’hui entre les cétacés à fanons (Mysticètes) et les cétacés à dents (Odontocètes). Les caractéristiques morphologiques ou comportementales des gros cétacés ont inspiré aux auteurs anciens des descriptions qui entremêlent des observations zoologiques exactes et des exagérations fabuleuses, par exemple sur le gigantisme des baleines ou la qualité de leur instinct maternel. Les citations réunies dans ce chapitre fournissent donc des données trop floues et trop déformées pour permettre le repérage d’espèces précises, dont les Anciens n’avaient sans doute pas une perception clairement différenciée. D’après les monographies rassemblées par Shirihai & Jarrett 2007, plusieurs gros cétacés peuvent être à l’origine des informations délivrées par les Anciens, en particulier par Pline, et leurs aires de répartition entrent bien dans les limites du monde connu par l’homme occidental à l’Antiquité et au Moyen Âge. Ainsi, parmi les cétacés à fanons, la baleine franche des Basques, Eubalaena glacialis Müller, 1776, la baleine à bosse, Megaptera novaeangeliae Borowski, 1781, le rorqual bleu (la baleine bleue), Balaenoptera musculus Linné, 1758, et, parmi les cétacés à dents, le cachalot, Physeter macrocephalus Linné, 1758. Les techniques de chasse moderne mises au point au milieu du XIXe siècle (avec, par exemple, le canon lance-harpon) ont entraîné une diminution considérable des populations de ces cétacés ; la baleine grise, Eschrichtius robustus Lilljeborg, 1861, qui a disparu de l’océan Atlantique au début du XVIIe siècle, vivait autrefois le long des côtes de la Baltique et de la Manche et était donc présente dans des eaux connues des hommes de l’Antiquité et du Moyen Âge.
Notes de source :
13. Selon Cipriani 2017, 50, la description de cette pêche par échouage serait caractéristique de la Normandie et a notamment été rapportée par Raoul Tortaire ; ce pourrait être une information recueillie par Thomas de Cantimpré auprès d’une source inconnue et introduite sous le couvert d’une référence au Liber rerum.
Notes d'explication :
3. Cette indication sur l’haleine parfumée est souvent donnée à propos d’un autre poisson mythique des bestiaires qui ne figure pas dans l’œuvre de Thomas de Cantimpré, l’aspidochelon. |
5. Cette remarque, en dépit des apparences, n’est pas contradictoire avec ce qui précède, et l’ensemble du passage correspond bien à ce que l’on peut observer sur les mysticètes, qui possèdent une large ouverture buccale, mais un étroit réseau de fanons fixés sur les côtés de la mâchoire supérieure. Les fanons jouent le rôle de filtre ; si certains, comme le petit rorqual ou le rorqual à bosse, mangent de petits poissons, d’autres, comme la baleine franche et le rorqual bleu, ne mangent que du krill et de petits invertébrés. Les baleines, selon les espèces, « écrèment » le plancton, en nageant en surface et filtrant en continu l’eau, ou l’« engouffrent », en engloutissant un grand volume d’eau et l’expulsant ensuite à travers leurs fanons. De manière générale, les baleines à fanons privilégient des proies nombreuses, mais de petite taille : elles se nourrissent de zooplancton, mais aussi de bancs de petits poissons, en particulier par la technique de la chasse « au filet de bulles ». |
6. La couleur des fanons varie plutôt selon les espèces. |
7. Cette observation peut se comprendre à propos des rorquals ou de la baleine noire. |
8. Cette observation peut trouver sa source dans différents passages du livre 9 de Pline qui évoque tant l’eau crachée par les cétacés (Plin. nat. 9, 8 ; 9, 15-16) que les mouvements violents qu’ils peuvent faire (Plin. nat. 9, 5). Le terme latin physeter, qui désigne le cachalot, est un emprunt au grec φυσητήρ, qui signifie littéralement le « souffleur ». Le souffle du rorqual bleu s’élève verticalement en formant une colonne qui peut atteindre 12 m de hauteur, tandis que celui du cachalot, en forme de buisson, est oblique sur 1 à 5 m de hauteur. |
9. On trouve des allusions à la faculté que posséderaient les cétacés de pouvoir reprendre leurs petits à l’intérieur d’eux-mêmes pour mieux les protéger dès l’Antiquité, par exemple chez Ambroise (Ambr. hex. 5, 7). Cela devient ensuite un lieu commun dans les encyclopédies médiévales. Cette tradition bien attestée semble remonter au développement qu’Aristote (Arist. HA 566 b 16-18) consacre aux phoques et aux marsouins, qui a été mal lu par les lecteurs et commentateurs d’Aristote, y compris ceux de l’époque moderne, comme l’a montré L. Bodson. Les traducteurs ont semble-t-il mal interprété le verbe grec εἰσδέχονται au sens de « retirer en eux-mêmes », d’où « cacher dans leur ventre », alors qu’il signifiait simplement « accueillir, accepter à leurs côtés » (Bodson 1983, 398 n. 19, 400-401 n. 30). C’est ainsi que par exemple Louis 1968, 87, traduit le texte d’Aristote : « le dauphin et le marsouin ont du lait et allaitent leurs petits, et ils les retirent en eux-mêmes tant qu’ils sont de taille réduite ». Une observation tout à fait juste d’Aristote sur le comportement parental des dauphins se retrouve, par sa formulation équivoque, à l’origine d’une tradition fabuleuse, qui est sans doute passée facilement aux baleines, dont la taille devait faire croire à leur capacité à ingurgiter leurs petits. L’histoire de Jonas a sans doute aussi facilité cette croyance. |
10. Peut-être faut-il voir dans ce sable qui recouvre le dos des cètes l’écho de réalités déformées : les cicatrices des cachalots sont colonisées par des algues siliceuses, les diatomées, ou par les poux de mer ; les baleines grises, qui n’avaient pas encore disparu de l’océan Atlantique au Moyen Âge, sont reconnaissables grâce aux plaques d’anatifes qui infestent la peau du baleineau dès sa naissance ; les protubérances de la baleine à bosse peuvent être elles aussi recouvertes de balanes ; la baleine franche de Biscaye arbore d’importantes callosités (dont le « bonnet ») qui abritent des colonies de crustacés. L’origine de la citation, répétée en des termes différents un peu plus loin, n’est pas identifiée, mais ce motif revient fréquemment dans les récits de voyage comme la Navigatio sancti Brendani. |
11. Cette analyse qui fait du cète le mâle de la baleine vient-elle de Barthélemy l’Anglais (BA, DPR, 13, 26, 11 : idem autem est cetus et ballaena) ? Elle sera aussi reprise dans le chapitre qu’Albert le Grand consacre au cète (AM, DA, 24, 23 (18)). |
12. Cette série d’assertions fabuleuses a pu être alimentée par des observations réelles. Le plus grand des mammifères marins, le rorqual bleu, a un mode de vie solitaire : les rencontres des membres de l’espèce ne semblent pas donner lieu à des échanges sociaux, et les accouplements paraissent le fait du hasard. Par ailleurs, si les cachalots femelles forment des groupes d’une vingtaine d’individus, les mâles, surtout lorsqu’ils vieillissent, semblent vivre de plus en plus seuls. Les grands cétacés disparaissent lors de leurs migrations, mais aussi lors de leurs plongées, qui peuvent durer jusqu’à deux heures et atteindre, pour le cachalot, plusieurs centaines de mètres de profondeur. Chez les cétacés mâles, les testicules sont intra-abdominaux, et le pénis est logé dans les plis cutanés, dont il ne saille que pendant l’érection. Cette particularité anatomique était connue comme en témoigne, par exemple, Albert le Grand, qui en fait la description précise et critique la légende rapportée par Thomas de Cantimpré. |
14. On trouve le même commentaire à propos du dauphin dans Plin. nat. 9, 24 : « La musique le charme, l’harmonie des instruments et particulièrement le son de l’orgue hydraulique ». |
15. Les Basques furent vraisemblablement, au haut Moyen Âge, les premiers à s’attaquer en pleine mer aux baleines, que les pêcheurs se contentaient auparavant de traquer près du rivage. La raréfaction progressive des baleines dans le golfe de Biscaye a entraîné le déplacement des lieux de la chasse à la baleine vers le nord de l’Europe (voir Moulinier 1992, 118). Le Liber rerum, que Thomas de Cantimpré indique ici comme source, présente dans cette scène, en dépit d’enjolivements suspects, de nombreux points communs avec la chasse au harpon que décrit, de façon très réaliste, Albert le Grand (AM, DA, 24, 23 (18)). La baleine franche des Basques flotte effectivement à la surface, une fois morte.
Notes de traduction :
2. La phrase d’Isidore est la suivante : Sunt enim ingentia genera beluarum et aequalia montium corpora: « Ce sont en effet des espèces de bêtes énormes dont le corps égale les montagnes » (André 1986, 187). |
4. La source de Thomas de Cantimpré, Jacques de Vitry, donne evocans (attirant à lui), que Thomas remplace par devorans. Cela explique le manque apparent de cohérence de la phrase dans l’ordre des actions et la répétition d’un même verbe.