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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.XLVI. De syrenis [les sirènes1identificationAucun problème d’identification ne se pose ici, même si le terme sirena, dérivé du latin classique siren, n’apparaît que chez les poètes. Il désigne tout d’abord la sirène ailée, cette créature fabuleuse à corps d’oiseau et à tête de femme, qui, de son chant, attirait pour leur perte les marins téméraires. Dans la mythologie gréco-romaine, les sirènes sont les filles du dieu-fleuve Achéloos et elles habitent une île de la Méditerranée, sur les rochers de laquelle les navires venaient se briser. La sirène pisciforme apparaîtra plus tardivement au Moyen Âge, par confusion probable avec certains animaux réels, comme le lamantin ou le dugong. Thomas de Cantimpré amalgame ici les deux catégories de sirènes, en rangeant parmi les poissons et les créatures subaquatiques un animal qu’il décrit, conformément à ses sources anciennes, comme la sirène-oiseau, avant d’en faire aussi, par l’ajout d’une queue couverte d’écailles, une sirène-poisson. C’est vers le XVe siècle que l’image de la sirène moderne se fixe, notamment à travers les bestiaires et l’art ornemental : la sirène à queue simple ou double devient un motif très courant de la sculpture médiévale (Leclercq-Marx 1997). La notice de Thomas de Cantimpré, rédigée d’après le témoignage de « ceux qui déclarent en avoir vu » est aussi pittoresque que novatrice.]
[β] TC?
[γ] LM, I, 7
[δ] Physiol.B12
[ε] ?
[α] Les sirènes sont des animaux dotés d’une voix, à ce que dit le Physiologus ; depuis la tête jusqu’au nombril, elles ont l’apparence d’une femme de grande taille2explicationLe Physiologus (versions B et Y) ne dit rien sur la taille de la sirène.[β] avec un visage effrayant et des cheveux très longs et hérissés sur la tête. Elles se montrent avec leurs petits qu’elles portent dans leurs bras. En effet, elles les allaitent avec les mamelles volumineuses que porte leur poitrine. Lorsque les marins aperçoivent des sirènes, ils ont très peur et leur jettent alors une bouteille vide, afin qu’elles jouent avec celle-ci pendant que le navire passe. C’est ce qu’attestent ceux qui déclarent en avoir vu.3explicationCette information concernant les bouteilles, reprise par Albert le Grand, ne semble pas figurer dans d’autres textes. Dans les représentations figurées, la sirène est souvent représentée tenant en main un ou plusieurs accessoires, poisson, peigne, miroir ou instruments de musique, mais seuls les illustrateurs du De natura rerum, fidèles au texte de Thomas, représentent la sirène se détournant du bateau pour s’intéresser aux bouteilles qu’on lui a jetées. J. Leclerc-Marx voit dans la description de Thomas un adoucissement de la figure de la sirène et commente brièvement : « Les sirènes, dont les jeux étaient calqués sur ceux des enfants, présentaient des traits psychologiques de plus en plus humains » (Leclercq-Marx 2002).. [γ] Le reste du corps des sirènes, à ce qu’écrit Aldhelm, est pareil à celui d’un aigle, avec des pattes dotées de serres faites pour déchirer. En outre, elles ont, à l’extrémité de leur corps, une queue couverte d’écailles, dont elles se servent comme d’une rame pour nager dans les abîmes4explicationLa contradiction vient de la juxtaposition de plusieurs sources.. [δ] Leur voix produit un chant mélodieux et très doux, qui charme et attire les navigateurs, puis les plonge dans le sommeil ; une fois qu’ils sont assoupis, les sirènes les mettent en pièces de leurs griffes. [ε] Ces bêtes séjournent, dit-on, dans certaines îles aux abîmes profonds et parfois dans les flots. Mais quelques marins font preuve de sagesse : ils se bouchent hermétiquement les oreilles et ainsi ils passent librement sans que le chant mortel des sirènes les invite au sommeil5explicationOn a dans ces lignes une réminiscence d’Homère, Odyssée, 12, 33-200..
[η] TC
[ζ] Isidore explique que les sirènes ne sont pas véritablement des animaux monstrueux, mais des prostituées, qui réduisaient à la misère les hommes qui croisaient leur chemin. Elles furent dotées d’ailes et de serres, car l’amour vole et blesse. Elles séjournent dans les fleuves, c’est-à-dire dans le torrent de la luxure.[η] Cependant la plupart, et même presque tous les philosophes, ainsi que certains commentateurs des saints ne sont pas de l’avis d’Isidore et affirment que les sirènes sont véritablement des monstres marins. Dès lors, nous croyons qu’elles sont véritablement des monstres de la mer dépourvus de raison6explicationPour Leclercq-Marx 1997, 119, cette dernière affirmation indique qu’on s’est interrogé sur la nature de la sirène comme sur celle des autres hommes monstrueux, interrogation récurrente au Moyen Âge. Ont-elles une part humaine et, partant, sont-elles dignes de rachat ?. Il ne faut pas croire que leur chant soit articulé, de sorte qu’on puisse distinguer les syllabes et les mots ; au contraire, il est assurément dépourvu de mots distincts, comme le chant des oiseaux.
Notes d'identification :
1. Aucun problème d’identification ne se pose ici, même si le terme sirena, dérivé du latin classique siren, n’apparaît que chez les poètes. Il désigne tout d’abord la sirène ailée, cette créature fabuleuse à corps d’oiseau et à tête de femme, qui, de son chant, attirait pour leur perte les marins téméraires. Dans la mythologie gréco-romaine, les sirènes sont les filles du dieu-fleuve Achéloos et elles habitent une île de la Méditerranée, sur les rochers de laquelle les navires venaient se briser. La sirène pisciforme apparaîtra plus tardivement au Moyen Âge, par confusion probable avec certains animaux réels, comme le lamantin ou le dugong. Thomas de Cantimpré amalgame ici les deux catégories de sirènes, en rangeant parmi les poissons et les créatures subaquatiques un animal qu’il décrit, conformément à ses sources anciennes, comme la sirène-oiseau, avant d’en faire aussi, par l’ajout d’une queue couverte d’écailles, une sirène-poisson. C’est vers le XVe siècle que l’image de la sirène moderne se fixe, notamment à travers les bestiaires et l’art ornemental : la sirène à queue simple ou double devient un motif très courant de la sculpture médiévale (Leclercq-Marx 1997). La notice de Thomas de Cantimpré, rédigée d’après le témoignage de « ceux qui déclarent en avoir vu » est aussi pittoresque que novatrice.
Notes d'explication :
2. Le Physiologus (versions B et Y) ne dit rien sur la taille de la sirène. |
3. Cette information concernant les bouteilles, reprise par Albert le Grand, ne semble pas figurer dans d’autres textes. Dans les représentations figurées, la sirène est souvent représentée tenant en main un ou plusieurs accessoires, poisson, peigne, miroir ou instruments de musique, mais seuls les illustrateurs du De natura rerum, fidèles au texte de Thomas, représentent la sirène se détournant du bateau pour s’intéresser aux bouteilles qu’on lui a jetées. J. Leclerc-Marx voit dans la description de Thomas un adoucissement de la figure de la sirène et commente brièvement : « Les sirènes, dont les jeux étaient calqués sur ceux des enfants, présentaient des traits psychologiques de plus en plus humains » (Leclercq-Marx 2002). |
4. La contradiction vient de la juxtaposition de plusieurs sources. |
5. On a dans ces lignes une réminiscence d’Homère, Odyssée, 12, 33-200. |
6. Pour Leclercq-Marx 1997, 119, cette dernière affirmation indique qu’on s’est interrogé sur la nature de la sirène comme sur celle des autres hommes monstrueux, interrogation récurrente au Moyen Âge. Ont-elles une part humaine et, partant, sont-elles dignes de rachat ?