CopierCopier dans le presse-papierPour indiquer l’adresse de consultation« Thomas de Cantimpré - Livre de la Nature — Livre VI. Les monstres marins.  », in Bibliothèque Ichtya, état du texte au 21/11/2024. [En ligne : ]
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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.

XLIII. De polipo [le poulpe1identificationLe polipus (translittération du grec πολύπους) et multipes (traduction du même mot) sont deux synonymes qui désignent le « poulpe » de Pline. Une rubrique est cependant consacrée à chacun des deux termes (voir TC 7, 53). Vincent de Beauvais (VB 17, 68) et Albert le Grand (AM 24, 79 (43) et AM 24, 100 (49)) reprendront cette distinction mais en précisant que le polipus est aussi appelé multipes, lien que Thomas de Cantimpré n’établit pas explicitement. Cette division vient peut-être du texte d’Isidore de Séville (Isid. orig. 12, 6, 44), qui donne les deux noms : Polypus, id est multipes ; plurimos enim nexus habet. Iste ingeniosus hamum appetens brachiis conplectitur, non morsu, nec prius dimittit quam escam circumroserit, « Le polypus (poulpe) ou “multipattes” : il a en effet de très nombreux tentacules. Il saisit habilement l’hameçon, l’enveloppe de ses bras sans y mordre et ne le lâche pas avant d’avoir rongé l’appât tout autour » (André 1986, 208). Pline, en revanche, ne décrit que le polypus, que De Saint-Denis 1947, 89, traduit par « poulpe » ou « pieuvre », car les deux termes sont employés l’un pour l’autre en français. L’animal décrit dans les deux chapitres est donc probablement l’Octopus vulgaris Cuvier, 1797, pourvu de tentacules vigoureux avec deux rangées de ventouses, qu’on trouve dans les biotopes rocheux. Au contraire, Aristote (Arist. HA 525 a 16-18) avait distingué le poulpe « musqué », qui, contrairement à tous les autres céphalopodes, n’a qu’une rangée de ventouses. Louis 1964, 117, n. 3, a identifié ce poulpe avec l’élédone musquée (Eledone muschata Lamarck, 1798), « genre de mollusques céphalopodes voisin des poulpes, qui vit dans les trous des rochers ». Pour le relevé des sources, et notamment des sources grecques, voir D’Arcy Thompson 1947, 204-208.]

Lieux parallèles : AM, [Polipus] (24, 100 (49)) ; VB De polypo (17, 123) ; VB De polypi sagacitate (17, 124) ; VB De polyporum generatione (17, 125) ; VB De captura ipsorum vel venatione (17, 126) ; HS, Polippus (4, 72).
2. [α] Plin. nat.9, 85
[β] ?
[γ] Plin. nat. 9, 85
[δ] Plin. nat.9, 163
[ε] Plin. nat.9, 158
[ζ] Plin. nat.9, 164
[η] Plin. nat.10, 195
[θ] Plin. nat.9, 86
[ι] TC
[κ] Plin. nat.9, 90
[λ] ?
[μ] Plin. nat.9, 90
[ν] Plin. nat.9, 89
[α] Le poulpe est un poisson, à ce que dit Pline, qui se sert de ses bras comme de pieds et de mains. [β] Ses bras sont si puissants qu’il lui arrive d’arracher brutalement d’un navire un marin qui ne se tient pas sur ses gardes, de l’entraîner dans l’eau et de se nourrir de ses chairs. En effet, il aime se repaître de chair. La mer qui borde la Vénétie regorge de poulpes. [γ] La queue de l’animal est bifide et pointue, il a dans le dos un conduit2traductionLe texte de Pline est ici tronqué et de ce fait déformé. Par le mot cauda, Pline désigne le bras hectocotyle, qui est l’organe reproducteur mâle, et écrit très justement : « Ils se servent de leur queue, qui est fourchue et pointue, pendant l’accouplement ». Il est difficile de saisir ce que comprenait Thomas de Cantimpré dans sa réécriture : acuta pourrait aussi qualifier fistula. Dans ce cas, il faudrait comprendre : « Il a une queue bifide et un conduit pointu sur le dos », ce qui n’a guère de sens., par lequel il fait passer <l’eau> de mer et qu’il place tantôt sur sa droite tantôt sur sa gauche à son gré3traductionLà encore, le texte de Pline est déformé ; Pline dit que, par ce conduit, le poulpe envoie l’eau à droite ou à gauche à son gré ; c’est exact, et l’entonnoir sert de gouvernail au poulpe.. Il nage de biais4explicationLe poulpe alterne plusieurs modes de locomotion. Il peut avancer ou reculer en se servant de ses bras sur le fond de la mer, dans une position « verticale », tête en haut et pieds en bas, ou utiliser un système locomoteur de propulsion, qu’il est le seul animal à posséder. Dans ce cas, il se déplace beaucoup plus rapidement, parallèrement au fond de l’eau, les bras groupés dans le prolongement de la tête, « de biais » en quelque sorte. dans la direction que marque sa tête5explicationLorsqu’il veut se déplacer rapidement, en mode de propulsion, le poulpe absorbe de l’eau dans sa cavité palléale et la rejette par l’entonnoir en contractant tous les muscles circulaires de son manteau ; le courant ainsi produit propulse l’animal dans la direction opposée. Ainsi, le poulpe nage en regardant en arrière mais dans la direction que marque la forme de sa tête., qui est très dure6explicationLa chair du poulpe est caoutchouteuse et doit être attendrie avant d’être consommée.. Les poulpes s’accrochent au rocher la tête en bas au point qu’on ne peut les en arracher7explicationCe comportement est celui des femelles qui accrochent les œufs au plafond d’anfractuosités rocheuses et les protègent de leurs bras.. Ce sont les seuls poissons à sortir sur le rivage8explicationLe poulpe peut survivre hors de l’eau, mais seulement tant que sa peau reste humide, ce qui limite le temps à quelques minutes..[δ] Les poulpes s’accouplent en hiver et fraient au printemps9explicationLes poulpes n’ont pas de période de reproduction.. Ils pondent des œufs en si grande quantité10explicationLa femelle peut pondre de 100 000 à 500 000 œufs selon sa taille ; les œufs sont répartis en cordons d’une dizaine de centimètres. La durée de l’incubation est liée à la température de l’eau. que le crâne d’un homme mort ne peut les contenir <tous> 11sourcesIl y a ici un contresens sur Arist. HA 550 a 1-3 et 525 a '4-5; les voyageurs les emportent et les rejettent12traductionThomas de Cantimpré a considérablement modifié le texte de Pline notamment en ajoutant le terme hominis et en remplaçant praegnantes, « qui sont près de produire, enceintes, empli(e)s » par perigrinantibus, « les voyageurs ». (Plin. nat. 9, 163 : « Les poulpes s’accouplent l’hiver ; ils pondent au printemps des œufs qui se tortillent en vrille ; ils sont si prolifiques que, tués, ils ne peuvent contenir tous leurs œufs dans la cavité de leur tête qui les portait ; ils éclosent le cinquantième jour ; sur le nombre, il en périt beaucoup » ; trad. De Saint-Denis 1955, p. 89). Dans ces conditions, le texte de Thomas est difficile à comprendre. La traduction proposée ici de l’expression testa hominis occisi résulte de l’interprétation d’occisi - repris à Pline - comme un génitif singulier apposé à hominis : elle est celle que nous avions adoptée en HS, 4, 72, 3. Cependant, la source de l’HS - Vincent de Beauvais - a lui-même quelque peu modifié la place des mots au regard du texte reçu de Thomas de Cantimpré. Dans le texte de Vincent de Beauvais, en effet, le participe occisi, placé entre hominis et testa ne peut s’interpréter autrement que comme un génitif singulier. Chez Thomas de Cantimpré, en revanche, on ne peut exclure qu’occisi soit un nominatif pluriel apposé soit à possint, soit même à transferuntur qui suit. Dans le premier cas, il faut comprendre : « Ils pondent des œufs en si grande quantité que, une fois tués, un crâne humain ne peut les contenir <tous> ; les voyageurs les emportent et les rejettent » ; dans le second : « Ils pondent des œufs en si grande quantité qu’un crâne humain ne peut les contenir <tous> ; après les avoir tués, les voyageurs les emportent et les rejettent »..[ε] Les poulpes s’accouplent la tête en bas13explicationIl y a ici une confusion avec la posture de la femelle qui, de ses bras, protège et aère ses œufs, accrochés au plafond de son abri. L’accouplement des poulpes, qui est la seule circonstance où deux poulpes s’approchent, s’effectue à une certaine distance, el le mâle introduit à plusieurs reprises son bras hectocotyle dans la cavité palléale de la femelle, pour déposer les spermatophores dans l’oviducte de celle-ci.. [ζ] Les poulpes s’assoient sur leurs œufs et les couvent, faisant une espèce de chambre avec leurs bras entrecroisés. [η] On ne peut pas arracher le poulpe des rochers. Mais si on lui présente une chose nauséabonde, l’odeur lui fait aussitôt lâcher prise. [θ] Ils se repaissent de la chair des coquillages, qu’ils brisent en les enserrant. C’est pourquoi, on repère leur retraite aux tests et aux coquillages qui en tapissent les abords14explicationL’observation est juste.. [ι] Ils sont même capables de tromper les coquillages par la ruse que voici : [κ] Les coquillages sont privés de la vue et des sens, mais ils détectent la nourriture et fuient le danger. C’est pourquoi, les poulpes guettent le moment où les coquillages ouvrent leurs valves. [λ] Alors, ayant pris une pierre, à ce que disent Pline, Ambroise et Basile le Grand, ils s’y attachent solidement et se font, avec cette pierre, une ombre qui les dissimule aux yeux des poissons15sourcesLe récit de Pline ne comporte pas cette précision ; il se contente de décrire la même ruse que celle du crabe.. Ainsi, tandis que les poissons ne se méfient pas de ce qu’ils connaissent et ne voient que la pierre[μ] le poulpe lance un caillou pour empêcher les coquillages de se refermer et ainsi ils les attaquent et en extraient les chairs.[ν] Les poulpes se tiennent cachés pendant deux mois. Ils ne vivent pas plus de deux ans. Ils périssent de consomption, et <les femelles>, toujours plus vite, car elles meurent presque aussitôt après la reproduction16explicationLes poulpes ne vivent que peu de temps, 12 à 24 mois pour les femelles, un peu plus pour les mâles, et la femelle meurt en effet peu de temps après la ponte. Les poulpes naissent donc orphelins..

Notes d'identification :

1. Le polipus (translittération du grec πολύπους) et multipes (traduction du même mot) sont deux synonymes qui désignent le « poulpe » de Pline. Une rubrique est cependant consacrée à chacun des deux termes (voir TC 7, 53). Vincent de Beauvais (VB 17, 68) et Albert le Grand (AM 24, 79 (43) et AM 24, 100 (49)) reprendront cette distinction mais en précisant que le polipus est aussi appelé multipes, lien que Thomas de Cantimpré n’établit pas explicitement. Cette division vient peut-être du texte d’Isidore de Séville (Isid. orig. 12, 6, 44), qui donne les deux noms : Polypus, id est multipes ; plurimos enim nexus habet. Iste ingeniosus hamum appetens brachiis conplectitur, non morsu, nec prius dimittit quam escam circumroserit, « Le polypus (poulpe) ou “multipattes” : il a en effet de très nombreux tentacules. Il saisit habilement l’hameçon, l’enveloppe de ses bras sans y mordre et ne le lâche pas avant d’avoir rongé l’appât tout autour » (André 1986, 208). Pline, en revanche, ne décrit que le polypus, que De Saint-Denis 1947, 89, traduit par « poulpe » ou « pieuvre », car les deux termes sont employés l’un pour l’autre en français. L’animal décrit dans les deux chapitres est donc probablement l’Octopus vulgaris Cuvier, 1797, pourvu de tentacules vigoureux avec deux rangées de ventouses, qu’on trouve dans les biotopes rocheux. Au contraire, Aristote (Arist. HA 525 a 16-18) avait distingué le poulpe « musqué », qui, contrairement à tous les autres céphalopodes, n’a qu’une rangée de ventouses. Louis 1964, 117, n. 3, a identifié ce poulpe avec l’élédone musquée (Eledone muschata Lamarck, 1798), « genre de mollusques céphalopodes voisin des poulpes, qui vit dans les trous des rochers ». Pour le relevé des sources, et notamment des sources grecques, voir D’Arcy Thompson 1947, 204-208.

Notes de source :

11. Il y a ici un contresens sur Arist. HA 550 a 1-3 et 525 a '4-5 | 

15. Le récit de Pline ne comporte pas cette précision ; il se contente de décrire la même ruse que celle du crabe.

Notes d'explication :

4. Le poulpe alterne plusieurs modes de locomotion. Il peut avancer ou reculer en se servant de ses bras sur le fond de la mer, dans une position « verticale », tête en haut et pieds en bas, ou utiliser un système locomoteur de propulsion, qu’il est le seul animal à posséder. Dans ce cas, il se déplace beaucoup plus rapidement, parallèrement au fond de l’eau, les bras groupés dans le prolongement de la tête, « de biais » en quelque sorte. | 

5. Lorsqu’il veut se déplacer rapidement, en mode de propulsion, le poulpe absorbe de l’eau dans sa cavité palléale et la rejette par l’entonnoir en contractant tous les muscles circulaires de son manteau ; le courant ainsi produit propulse l’animal dans la direction opposée. Ainsi, le poulpe nage en regardant en arrière mais dans la direction que marque la forme de sa tête. | 

6. La chair du poulpe est caoutchouteuse et doit être attendrie avant d’être consommée. | 

7. Ce comportement est celui des femelles qui accrochent les œufs au plafond d’anfractuosités rocheuses et les protègent de leurs bras. | 

8. Le poulpe peut survivre hors de l’eau, mais seulement tant que sa peau reste humide, ce qui limite le temps à quelques minutes. | 

9. Les poulpes n’ont pas de période de reproduction. | 

10. La femelle peut pondre de 100 000 à 500 000 œufs selon sa taille ; les œufs sont répartis en cordons d’une dizaine de centimètres. La durée de l’incubation est liée à la température de l’eau. | 

13. Il y a ici une confusion avec la posture de la femelle qui, de ses bras, protège et aère ses œufs, accrochés au plafond de son abri. L’accouplement des poulpes, qui est la seule circonstance où deux poulpes s’approchent, s’effectue à une certaine distance, el le mâle introduit à plusieurs reprises son bras hectocotyle dans la cavité palléale de la femelle, pour déposer les spermatophores dans l’oviducte de celle-ci. | 

14. L’observation est juste. | 

16. Les poulpes ne vivent que peu de temps, 12 à 24 mois pour les femelles, un peu plus pour les mâles, et la femelle meurt en effet peu de temps après la ponte. Les poulpes naissent donc orphelins.

Notes de traduction :

2. Le texte de Pline est ici tronqué et de ce fait déformé. Par le mot cauda, Pline désigne le bras hectocotyle, qui est l’organe reproducteur mâle, et écrit très justement : « Ils se servent de leur queue, qui est fourchue et pointue, pendant l’accouplement ». Il est difficile de saisir ce que comprenait Thomas de Cantimpré dans sa réécriture : acuta pourrait aussi qualifier fistula. Dans ce cas, il faudrait comprendre : « Il a une queue bifide et un conduit pointu sur le dos », ce qui n’a guère de sens. | 

3. Là encore, le texte de Pline est déformé ; Pline dit que, par ce conduit, le poulpe envoie l’eau à droite ou à gauche à son gré ; c’est exact, et l’entonnoir sert de gouvernail au poulpe. | 

12. Thomas de Cantimpré a considérablement modifié le texte de Pline notamment en ajoutant le terme hominis et en remplaçant praegnantes, « qui sont près de produire, enceintes, empli(e)s » par perigrinantibus, « les voyageurs ». (Plin. nat. 9, 163 : « Les poulpes s’accouplent l’hiver ; ils pondent au printemps des œufs qui se tortillent en vrille ; ils sont si prolifiques que, tués, ils ne peuvent contenir tous leurs œufs dans la cavité de leur tête qui les portait ; ils éclosent le cinquantième jour ; sur le nombre, il en périt beaucoup » ; trad. De Saint-Denis 1955, p. 89). Dans ces conditions, le texte de Thomas est difficile à comprendre. La traduction proposée ici de l’expression testa hominis occisi résulte de l’interprétation d’occisi - repris à Pline - comme un génitif singulier apposé à hominis : elle est celle que nous avions adoptée en HS, 4, 72, 3. Cependant, la source de l’HS - Vincent de Beauvais - a lui-même quelque peu modifié la place des mots au regard du texte reçu de Thomas de Cantimpré. Dans le texte de Vincent de Beauvais, en effet, le participe occisi, placé entre hominis et testa ne peut s’interpréter autrement que comme un génitif singulier. Chez Thomas de Cantimpré, en revanche, on ne peut exclure qu’occisi soit un nominatif pluriel apposé soit à possint, soit même à transferuntur qui suit. Dans le premier cas, il faut comprendre : « Ils pondent des œufs en si grande quantité que, une fois tués, un crâne humain ne peut les contenir <tous> ; les voyageurs les emportent et les rejettent » ; dans le second : « Ils pondent des œufs en si grande quantité qu’un crâne humain ne peut les contenir <tous> ; après les avoir tués, les voyageurs les emportent et les rejettent ».