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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.LIX. De Zytirone, hoc est milite marino [le zytiron, c’est-à-dire le soldat marin1identificationIl s’agit d’un animal fabuleux, à rapprocher d’autres poissons imaginaires à figure humaine, comme le poisson moine ou le poisson évêque (voir Guillaume Rondelet, Libri de piscibus marinis, livre XVI, ch. 20 et livre XVI, ch. 21), ou de la sirène. Thomas de Cantimpré est le premier à répertorier un Zitiron. Il semble qu’il s’agisse d’un avatar de la tortue, dont la carapace fournit au départ l’image de la cuirasse, sur laquelle sont venus se greffer des éléments fantaisistes, notamment une métamorphose anthropomorphique. Selon Cipriani 2017, 27 et 47, le terme viendrait du flamand zeetiron ou zeetriton. Cette latinisation d’un nom vernaculaire dans un passage attribué au Liber rerum pourrait indiquer une intervention personnelle de Thomas de Cantimpré. Sur le poisson-chevalier, voir Leclercq-Marx 2017, Chevaliers marins… ; Leclercq-Marx 2017, Formes et figures….]
[α] Le zytiron est un monstre marin, qu’on appelle communément soldat de mer2explicationLa première mention du soldat de mer figure dans le De naturis rerum d’Alexandre Nequam (2, 25) : Est enim, ut perhibent, in marinis aquis piscis armatus in modum militis,« Dans les eaux de la mer, il y a, à ce qu’on raconte, un poisson armé comme un soldat ». , à ce que dit le Liber rerum ; il est gigantesque et très fort. On dit qu’il est configuré de la manière suivante : dans sa partie antérieure, il présente pour ainsi dire l’apparence d’un soldat armé dont la tête est coiffée d’une sorte de casque, car elle est faite d’une peau rugueuse, très dure et très résistante. À son cou pend un long, large et grand bouclier, creux à l’intérieur, de sorte que le monstre peut s’y protéger des coups à la manière des combattants. Son cou et ses vertèbres sont reliés à l’humérus par des veines et des tendons très solides, qui retiennent à son épaule le bouclier dont nous avons parlé. Quant à ce bouclier, il est de forme triangulaire, si résistant par sa dureté et sa solidité, qu’un trait peut difficilement le percer3explicationJusqu’à ce point, les indications correspondent à la tortue de mer. Les précisions suivantes, la pince, les combats et la localisation en mer de Bretagne, ne sont plus en rapport.. Le zytiron a aussi des bras très forts et une sorte de pince qui lui tient lieu de main, avec laquelle il peut frapper avec une telle violence qu’il serait vain et très dangereux pour l’homme d’essayer de l’affronter4explicationSur les illustrations qui accompagnent les encyclopédies, le zitiron évoque une sirène armée : queue de poisson, buste redressé au-dessus des flots, tête casquée ; les bras ne sont pas toujours visibles : l’un tient un bouclier qui le recouvre ; l’autre, quand il est visible, brandit une longue épée. La pince n’est jamais représentée.. Voilà pourquoi il est très difficile à l’homme de le capturer. Y parvient-il qu’il lui sera encore difficile de le tuer, sinon à coups de maillet5explicationLa même indication est donnée pour le helcus et le koki, qui sont deux noms du phoque (voir VI, 22 et 29).. Il semble que les animaux de cette espèce reproduisent la discorde propre à l’espèce des hommes, qui engagent des combats les uns contre les autres ; et ces animaux provoquent une telle agitation des flots quand ils s’affrontent que, sur le lieu de leurs combats, on croit voir se lever une tempête6explicationPeut-être une réminiscence de Plin. nat. 9, 4-5.. Ces monstres habitent dans la mer de Bretagne7explicationJ. Leclercq-Marx montre bien comment les contreparties marines d’origine extrême-orientale, transmises par les auteurs grecs et latins, rencontrent l’imaginaire germano-celtique, par exemple dans le cas du poisson-chevalier. Dans le Liber monstrorum, écrit en Angleterre, le mélange des semences générateur de monstres qui se produit dans la mer n’est plus localisé dans la mer tyrrhénienne, comme chez Pline, mais in mare Britannico ; les premières apparitions du miles marinus se font vers 1220 chez Alexandre Nequam et Gervais de Tilbury, deux auteurs anglais, et le deuxième reprend l’indication In mare britannico pour localiser son miles marinus. Thomas de Cantimpré, nourri de toutes ces influences, place naturellement le zitiron in mare Britannico..
Notes d'identification :
1. Il s’agit d’un animal fabuleux, à rapprocher d’autres poissons imaginaires à figure humaine, comme le poisson moine ou le poisson évêque (voir Guillaume Rondelet, Libri de piscibus marinis, livre XVI, ch. 20 et livre XVI, ch. 21), ou de la sirène. Thomas de Cantimpré est le premier à répertorier un Zitiron. Il semble qu’il s’agisse d’un avatar de la tortue, dont la carapace fournit au départ l’image de la cuirasse, sur laquelle sont venus se greffer des éléments fantaisistes, notamment une métamorphose anthropomorphique. Selon Cipriani 2017, 27 et 47, le terme viendrait du flamand zeetiron ou zeetriton. Cette latinisation d’un nom vernaculaire dans un passage attribué au Liber rerum pourrait indiquer une intervention personnelle de Thomas de Cantimpré. Sur le poisson-chevalier, voir Leclercq-Marx 2017, Chevaliers marins… ; Leclercq-Marx 2017, Formes et figures….
Notes d'explication :
2. La première mention du soldat de mer figure dans le De naturis rerum d’Alexandre Nequam (2, 25) : Est enim, ut perhibent, in marinis aquis piscis armatus in modum militis,« Dans les eaux de la mer, il y a, à ce qu’on raconte, un poisson armé comme un soldat ». |
3. Jusqu’à ce point, les indications correspondent à la tortue de mer. Les précisions suivantes, la pince, les combats et la localisation en mer de Bretagne, ne sont plus en rapport. |
4. Sur les illustrations qui accompagnent les encyclopédies, le zitiron évoque une sirène armée : queue de poisson, buste redressé au-dessus des flots, tête casquée ; les bras ne sont pas toujours visibles : l’un tient un bouclier qui le recouvre ; l’autre, quand il est visible, brandit une longue épée. La pince n’est jamais représentée. |
5. La même indication est donnée pour le helcus et le koki, qui sont deux noms du phoque (voir VI, 22 et 29). |
6. Peut-être une réminiscence de Plin. nat. 9, 4-5. |
7. J. Leclercq-Marx montre bien comment les contreparties marines d’origine extrême-orientale, transmises par les auteurs grecs et latins, rencontrent l’imaginaire germano-celtique, par exemple dans le cas du poisson-chevalier. Dans le Liber monstrorum, écrit en Angleterre, le mélange des semences générateur de monstres qui se produit dans la mer n’est plus localisé dans la mer tyrrhénienne, comme chez Pline, mais in mare Britannico ; les premières apparitions du miles marinus se font vers 1220 chez Alexandre Nequam et Gervais de Tilbury, deux auteurs anglais, et le deuxième reprend l’indication In mare britannico pour localiser son miles marinus. Thomas de Cantimpré, nourri de toutes ces influences, place naturellement le zitiron in mare Britannico.