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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.XLVIII. De lucio [le brochet1identificationLe lucius est le brochet (Esox lucius Linné, 1758) Ce poisson apparaît pour la première fois dans la Moselle d’Ausone. Mais ce chapitre comporte aussi des passages qui concernent le loup ou bar (Dicentrarchus labrax Linné, 1758).]
[β] Arist. HA, 602 a 23 MS
[γ] Plin. nat.32, 13
[α] Le brochet, à ce que dit le Livre des choses, est un poisson qu’on appelle aussi le loup de rivière2explicationSelon Cipriani 2017, 94, le terme lupus aquaticus est de Thomas de Cantimpré.. S’il dispose d’eau douce3explicationLe brochet peut aussi vivre en eaux saumâtres ; il préfère les eaux lentes, denses en végétaux., dans un fleuve, et de nourriture en quantité suffisante, il forcit jusqu’à atteindre, au fil du temps, une taille considérable4explicationLe brochet européen peut atteindre un mètre ; les espèces américaines, toutes du genre esox, peuvent atteindre 2,50 m.. Il se nourrit de poissons et de tout ce qui se déplace comme les grenouilles. Voici comment il dévore un poisson qui lui est comparable en taille : lorsqu’il a vaincu sa proie, il engloutit d’abord la tête dans sa gueule ; une fois la tête avalée, il passe progressivement à la suite, jusqu’à ce qu’il ait tout absorbé. Il refuse d’épargner un congénère, soit parce qu’il est naturellement cruel, soit par qu’il est avide de nourriture et assoiffé de victimes. Il s’en prend même à sa descendance, dès lors qu’elle a pris forme de poisson5explicationLe cannibalisme est en effet fréquent chez les brochets, notamment envers les brochetons.. Il a dans le cerveau un pierre pareille à du cristal, mais cela quand il a atteint un âge très avancé6explicationIl s’agit des otolithes. Voir Plin. nat. 9, 57 : Praegelidam hiemem omnes sentiunt, sed maxime qui lapidem in capite habere existimantur, ut lupi, chromis, sciaena, pagri, « Tous sont sensibles aux grands froids de l’hiver, mais surtout ceux qui passent pour avoir une pierre dans la tête comme les loups, le chromis, la sciène, les pagres » (De Saint-Denis 1955, 56). Notons que le brochet peut vivre dix ans.. [β] Les brochets se reproduisent, à ce qu’en dit Aristote, quand souffle le vent du Nord, de même que les poissons qui grandissent en longueur7traductionLa citation d’Aristote ne mentionne pas spécifiquement le brochet ; c’est sans doute Thomas de Cantimpré qui le déduit de l’indication pisces longi.. [γ] Le brochet a moins d’habileté dans les profondeurs8traductionChez Pline, cette remarque concerne le lupus marinus (le loup ou bar, un poisson de mer) et non le lucius, animal de rivière.. [δ] La femelle brochet, lorsqu’elle a été fécondée, remonte le courant le plus loin possible de l’endroit où elle a l’habitude de demeurer ; elle pond là ses œufs, mais qu’il s’agisse de ses petits ne l’empêche pas de les manger, et cela à cause de sa cruauté naturelle, parce qu’elle est avide de nourriture et assoiffée de victimes9traductionThomas de Cantimpré utilise exactement la même formulation pour décrire la voracité du mâle, ci-dessus, et de la femelle.. D’autres ont affirmé qu’elle remonte le courant parce qu’elle recherche des eaux plus douces, car une eau est d’autant plus douce qu’elle est proche de sa source10explicationLes migrations en vue de se reproduire ne sont pas rares chez les poissons, comme on le sait pour les anguilles ou les saumons. Les brochets, mâles et femelles, remontent en effet les fleuves entre février et avril, non à la recherche d’eaux plus douces, mais pour trouver des prairies inondées, de faible profondeur, qui servent de frayères. Les femelles déposent des milliers d’œufs sur les herbes, et les mâles viennent déposer leur semence. Puis les parents regagnent leurs domaines habituels.. [ε] Il y a un poisson qui a des écailles pointues et de nageoires piquantes11explicationIl s’agit de la perche dont les piquants acérés constituent une protection efficace contre le brochet. Albert le Grand (AM 24, 73 (40)) écrit : Si tamen aliquando piscem asperae squamae inveniat et acutae spinae, sicut est perca, hunc apprehenso capite devorat ; sed si per caudam apprehenderit, glutire non potest, eo quod tunc et squama et spinae in contrarium dispositae impediant ; ego tamen vidi et consideravi quod, cum piscem capit, primo in ore per transversum dentibus perforatum diu portat et tunc mortuum glutit : « Si cependant il lui arrive de trouver un poisson pourvu d’écailles acérées et d’épines pointues, comme la perche, il le dévore en commençant par la tête ; si au contraire il le prenait par la queue, il ne pourrait l’avaler, parce qu’alors les écailles et les épines se rebrousseraient et l’en empêcheraient. Pour ma part, cependant, voici ce que j’ai vu et observé : quand le brochet saisit un poisson par le travers, il le transperce de ses dents et le transporte d’abord longtemps dans sa gueule ; puis, quand il est mort, il l’avale ». : si le loup de rivière l’attrape par la tête, il l’engloutit rapidement ; mais s’il s’en saisit par la queue, il n’arrive à rien, parce que les aspérités de sa proie se rebroussent en sens contraire.
Notes d'identification :
1. Le lucius est le brochet (Esox lucius Linné, 1758) Ce poisson apparaît pour la première fois dans la Moselle d’Ausone. Mais ce chapitre comporte aussi des passages qui concernent le loup ou bar (Dicentrarchus labrax Linné, 1758).
Notes d'explication :
2. Selon Cipriani 2017, 94, le terme lupus aquaticus est de Thomas de Cantimpré. |
3. Le brochet peut aussi vivre en eaux saumâtres ; il préfère les eaux lentes, denses en végétaux. |
4. Le brochet européen peut atteindre un mètre ; les espèces américaines, toutes du genre esox, peuvent atteindre 2,50 m. |
5. Le cannibalisme est en effet fréquent chez les brochets, notamment envers les brochetons. |
6. Il s’agit des otolithes. Voir Plin. nat. 9, 57 : Praegelidam hiemem omnes sentiunt, sed maxime qui lapidem in capite habere existimantur, ut lupi, chromis, sciaena, pagri, « Tous sont sensibles aux grands froids de l’hiver, mais surtout ceux qui passent pour avoir une pierre dans la tête comme les loups, le chromis, la sciène, les pagres » (De Saint-Denis 1955, 56). Notons que le brochet peut vivre dix ans. |
10. Les migrations en vue de se reproduire ne sont pas rares chez les poissons, comme on le sait pour les anguilles ou les saumons. Les brochets, mâles et femelles, remontent en effet les fleuves entre février et avril, non à la recherche d’eaux plus douces, mais pour trouver des prairies inondées, de faible profondeur, qui servent de frayères. Les femelles déposent des milliers d’œufs sur les herbes, et les mâles viennent déposer leur semence. Puis les parents regagnent leurs domaines habituels. |
11. Il s’agit de la perche dont les piquants acérés constituent une protection efficace contre le brochet. Albert le Grand (AM 24, 73 (40)) écrit : Si tamen aliquando piscem asperae squamae inveniat et acutae spinae, sicut est perca, hunc apprehenso capite devorat ; sed si per caudam apprehenderit, glutire non potest, eo quod tunc et squama et spinae in contrarium dispositae impediant ; ego tamen vidi et consideravi quod, cum piscem capit, primo in ore per transversum dentibus perforatum diu portat et tunc mortuum glutit : « Si cependant il lui arrive de trouver un poisson pourvu d’écailles acérées et d’épines pointues, comme la perche, il le dévore en commençant par la tête ; si au contraire il le prenait par la queue, il ne pourrait l’avaler, parce qu’alors les écailles et les épines se rebrousseraient et l’en empêcheraient. Pour ma part, cependant, voici ce que j’ai vu et observé : quand le brochet saisit un poisson par le travers, il le transperce de ses dents et le transporte d’abord longtemps dans sa gueule ; puis, quand il est mort, il l’avale ».
Notes de traduction :
7. La citation d’Aristote ne mentionne pas spécifiquement le brochet ; c’est sans doute Thomas de Cantimpré qui le déduit de l’indication pisces longi. |
8. Chez Pline, cette remarque concerne le lupus marinus (le loup ou bar, un poisson de mer) et non le lucius, animal de rivière. |
9. Thomas de Cantimpré utilise exactement la même formulation pour décrire la voracité du mâle, ci-dessus, et de la femelle.