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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.LVI. De mulo [le « mulet » : le surmulet ou le rouget barbet1identificationSelon D’Arcy Thompson 1947, 268, le mullus du latin est la τρίγλη du grec (voir Arist. HA 591 a 12-13), que Louis 1969, 10, traduit par « trigle ». Ces deux termes désignent le rouget, dont on distingue deux espèces répandues sur nos côtes : l’une est le rouget-barbet de vase (Mullus barbatus Linné, 1758), que l’on trouve communément en Méditerranée ; l’autre, plus grand, est le rouget-barbet de roche ou surmulet (Mullus surmuletus Linné, 1758), qui vit sur la côte française de l’océan Atlantique, dans la Manche et la mer du Nord. C’est par le terme de surmulet que De Saint-Denis 1955, 58, traduit le mullus de Pline, né dans « l’océan septentrional ». Cependant, De Saint-Denis 1947, 69, avait posé la question d’une possible distinction faite déjà par les Anciens entre ces deux rougets. De fait, Pline (Plin. nat. 9, 64) – repris ici par Thomas de Cantimpré, cité dans le premier paragraphe de ce chapitre –, distingue plusieurs espèces de mulli dont il ne donne pas les noms, en fonction de ce qu’ils mangent : le « limon » ne serait-il pas la nourriture du rouget-barbet de vase ? Voir encore André 1986, 196, n. 364. Thomas de Cantimpré et Albert le Grand (AM 24, 82 (44) et AM 24, 78 (43)) consacrent tous deux un paragraphe au mulus et un autre au mullus, y donnant respectivement à peu près les mêmes informations et s’inspirant, pour le mulus, de Pline et, pour le mullus, d’Isidore de Séville. Or, le mullus de ces deux encyclopédistes est distingué du mulus par l’éditeur d’Albert le Grand, Stadler, cité par Kitchell & Resnick 1999, 1691 et n. 221, et identifié comme le grey mullet, le Mugil chelo Cuvier, 1829, c’est-à-dire un mulet à grosses lèvres. Au contraire, De Saint-Denis, dans l’ouvrage cité plus haut, a soutenu que le mullus de Pline ne pouvait pas être un mulet. Il est difficile de dire si Thomas de Cantimpré distingue clairement les deux poissons.]
[β] ?
[γ] Plin. nat.9, 66
[δ] TC
[α] Le mulet est un poisson de mer, à ce que dit Pline, qui jouit d’une réputation sans pareille et n’est servi qu’à la table des nobles. En effet, il est très rare. Il ne s’élève pas en viviers ni en piscines, et il ne se rencontre que dans l’océan septentrional, dans sa partie la plus proche de l’occident. Du reste, il existe plusieurs espèces de mulets, qui se nourrissent d’algues, d’huîtres, de limon et de la chair d’autres poissons. On repère les plus prisés à leur barbillon double sur la lèvre inférieure2explicationCette caractéristique est partagée par les deux types de rougets-barbets, de vase et de roche..[β] Ils se nourrissent de ce qui croît le long des rives à l’air pur3explicationCette remarque ne correspond ni au rouget-barbet de vase, ni au rouget-barbet de roche, qui vivent au fond de l’eau..[γ] Les fins gourmets prétendent qu’un mulet de qualité, quand il meurt, change de couleur et qu’on peut lui voir des teintes très différentes4explicationVoir aussi Sénèque, qui développe longuement l’exemple du surmulet agonisant pour blâmer les excès de la sensualité : In cubili natant pisces, et sub ipsa mensa capitur qui statim transferatur in mensam: parum uidetur recens mullus, nisi qui in conuiuae manu moritur; uitreis ollis inclusi afferuntur et obseruatur morientium color, quem in multas mutationes mors luctante spiritu uertit [...] Nihil est, inquis, mullo expirante illis formosius ; ipsa colluctatione animae deficientis rubor primum, deinde pallor suffunditur, squamaeque uariantur et incertas facies inter uitam ac mortem coloris est uagatio (Sen. nat. 3, 17-18) : « On fait nager le poisson en chambre. Attrapé sous la table, il est aussitôt servi sur la table. On ne trouve pas assez frais le surmulet qui ne meurt pas dans la main d’un convive. On apporte les poissons enfermés dans des bocaux de verre et pendant qu’ils meurent, on observe leur couleur, les nuances variées par lesquelles les fait passer la lutte de la vie contre la mort […]. Il n’est rien, dit-on, de plus beau qu’un surmulet expirant. Dans l’effort désespéré qu’il fait pour retrouver le souffle qui lui manque, il se colore d’abord en rouge ; la pâleur se répand ensuite sur son corps et ses écailles prennent des nuances variées. Pendant qu’il est entre la vie et la mort, sa couleur passe par une série d’aspects indécis. » (Oltramare 1929, 133-134)..[δ] On pourrait dire que ces deux espèces de poissons représentent les deux formes de la puissance séculière des princes. Les premiers, les plus vils, qui deviennent la proie des démons, vivent du bien des pauvres et de vanité frivole : voilà la chair et l’algue qui les nourrissent ! Mais les seconds, les plus nobles, qui vivent, la conscience tranquille, des revenus que Dieu, dans sa largesse, leur a accordés en propre, se distinguent par la double vertu de leur grâce auprès de Dieu et des hommes : voilà leur double barbillon ! Et après leur mort, ils se font reconnaître à l’auréole chatoyante des mérites de leurs diverses vertus et sont présentés à la table du roi céleste, nourriture choisie par les anges pour le Seigneur.
Notes d'identification :
1. Selon D’Arcy Thompson 1947, 268, le mullus du latin est la τρίγλη du grec (voir Arist. HA 591 a 12-13), que Louis 1969, 10, traduit par « trigle ». Ces deux termes désignent le rouget, dont on distingue deux espèces répandues sur nos côtes : l’une est le rouget-barbet de vase (Mullus barbatus Linné, 1758), que l’on trouve communément en Méditerranée ; l’autre, plus grand, est le rouget-barbet de roche ou surmulet (Mullus surmuletus Linné, 1758), qui vit sur la côte française de l’océan Atlantique, dans la Manche et la mer du Nord. C’est par le terme de surmulet que De Saint-Denis 1955, 58, traduit le mullus de Pline, né dans « l’océan septentrional ». Cependant, De Saint-Denis 1947, 69, avait posé la question d’une possible distinction faite déjà par les Anciens entre ces deux rougets. De fait, Pline (Plin. nat. 9, 64) – repris ici par Thomas de Cantimpré, cité dans le premier paragraphe de ce chapitre –, distingue plusieurs espèces de mulli dont il ne donne pas les noms, en fonction de ce qu’ils mangent : le « limon » ne serait-il pas la nourriture du rouget-barbet de vase ? Voir encore André 1986, 196, n. 364. Thomas de Cantimpré et Albert le Grand (AM 24, 82 (44) et AM 24, 78 (43)) consacrent tous deux un paragraphe au mulus et un autre au mullus, y donnant respectivement à peu près les mêmes informations et s’inspirant, pour le mulus, de Pline et, pour le mullus, d’Isidore de Séville. Or, le mullus de ces deux encyclopédistes est distingué du mulus par l’éditeur d’Albert le Grand, Stadler, cité par Kitchell & Resnick 1999, 1691 et n. 221, et identifié comme le grey mullet, le Mugil chelo Cuvier, 1829, c’est-à-dire un mulet à grosses lèvres. Au contraire, De Saint-Denis, dans l’ouvrage cité plus haut, a soutenu que le mullus de Pline ne pouvait pas être un mulet. Il est difficile de dire si Thomas de Cantimpré distingue clairement les deux poissons.
Notes d'explication :
2. Cette caractéristique est partagée par les deux types de rougets-barbets, de vase et de roche. |
3. Cette remarque ne correspond ni au rouget-barbet de vase, ni au rouget-barbet de roche, qui vivent au fond de l’eau. |
4. Voir aussi Sénèque, qui développe longuement l’exemple du surmulet agonisant pour blâmer les excès de la sensualité : In cubili natant pisces, et sub ipsa mensa capitur qui statim transferatur in mensam: parum uidetur recens mullus, nisi qui in conuiuae manu moritur; uitreis ollis inclusi afferuntur et obseruatur morientium color, quem in multas mutationes mors luctante spiritu uertit [...] Nihil est, inquis, mullo expirante illis formosius ; ipsa colluctatione animae deficientis rubor primum, deinde pallor suffunditur, squamaeque uariantur et incertas facies inter uitam ac mortem coloris est uagatio (Sen. nat. 3, 17-18) : « On fait nager le poisson en chambre. Attrapé sous la table, il est aussitôt servi sur la table. On ne trouve pas assez frais le surmulet qui ne meurt pas dans la main d’un convive. On apporte les poissons enfermés dans des bocaux de verre et pendant qu’ils meurent, on observe leur couleur, les nuances variées par lesquelles les fait passer la lutte de la vie contre la mort […]. Il n’est rien, dit-on, de plus beau qu’un surmulet expirant. Dans l’effort désespéré qu’il fait pour retrouver le souffle qui lui manque, il se colore d’abord en rouge ; la pâleur se répand ensuite sur son corps et ses écailles prennent des nuances variées. Pendant qu’il est entre la vie et la mort, sa couleur passe par une série d’aspects indécis. » (Oltramare 1929, 133-134).