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Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.XXXI. De echino [le rémora, l’oursin1identificationThomas de Cantimpré évoque sous le même vocable echinus deux animaux très différents, le rémora (Remora remora Linné, 1758) et l’oursin (Echinoidea Leske, 1778). Cette confusion repose sur la paronymie en latin classique des termes echeneis et echinus dont le premier désignait le rémora et le second l’oursin.]
[α] JV or.90
[β] TC
[γ] Ambr. hex.5, 20, 64
[δ] TC
[α] L’echinus [le rémora], à ce qu’en disent Isidore et Jacques, est un poisson d’un demi-pied2explicationQuinze centimètres ; le rémora commun mesure en moyenne une trentaine de centimètres et peut atteindre 60 cm., d’une si grande force qu’en se fixant sur un navire, il l’empêche de bouger. Que les vents se précipitent, que les tempêtes se déchaînent, que les flots soient démontés : le bateau reste immobile, comme enraciné, et il ne peut ni avancer ni reculer, parce qu’un petit poisson le bloque par sa seule force d’adhérence3sourcesIsidore reprend Plin. nat. 32, 2-6..[β] Cela a paru bien sûr incroyable à beaucoup, mais les meilleures autorités se montrent si affirmatives et s’accordent si bien entre elles sur ce point qu’il ne reste de place pour aucun doute possible. À s’accorder sur ce point, on trouve en premier le bienheureux Ambroise4sourcesAmbr. hex. 5, 9, mais il s’agit de l’oursin., en second Jacques d’Acre5sourcesJV Or. 90 ; Jacques de Vitry, l’auteur de l’Historia orientalis, fut évêque d’Acre., en troisième Aristote6sourcesAristote mentionne bien le rémora, qu’il décrit comme un petit poisson dont les nageoires ressemblent à des pieds et qu’on utilise pour les filtres, mais il ne signale pas la capacité qu’aurait ce poisson d’arrêter un navire (Arist. HA 505 b 18-22)., en quatrième le bienheureux Isidore7sourcesIsid. orig. 12, 6, 34. et en cinquième Basile le Grand8sourcesBas. hex. 7, 5, 5.. Nous avons scupuleusement introduit dans notre propos la liste de nos sources car il est étonnant et merveilleux, au-delà de toute mesure, qu’un petit poisson, d’un demi-pied, sans aucune violence, mais par sa seule force d’adhérence, immobilise un immense bateau9explicationDeux cents pieds font 60 mètres ; cette mesure ne paraît pas cohérente. Au Moyen Âge, une nef mesure 25 m de longueur environ. Il faut peut-être prendre cette indication non à la lettre, mais comme le symbole d’une très grande taille., avec toute sa charge à l’intérieur, sans qu’il ne puisse bouger même d’un point. Où sont-ils les sots et stupides, je ne dis pas philosophes, mais immondes hérétiques, qui dénigrent la foi des chrétiens en reprochant à ses articles de faire fi de la nature et des propriétés de l’homme ? Dis-moi, serpent abominable, ce qui peut sembler le plus incroyable : qu’une vierge conçoive et enfante sans la semence d’un homme, ou qu’un petit poisson d’un demi-pied, par sa force d’adhérence, puisse retenir immobile la lourde masse d’un bateau contre les souffles des vents les plus puissants ? Je crois que la raison t’indiquera qu’il est plus facile à une vierge d’enfanter qu’au petit poisson echinus d’immobiliser un bateau10explicationOn trouve le même raisonnement chez Ambroise pour combattre ceux qui mettraient en doute l’Immaculée Conception., [γ] car il est bien établi que les juments, les chattes, les perdrix11explicationAmbroise ne mentionne que les vautours. La remarque sur les perdrix, fécondées simplement en flairant l’odeur du mâle, vient d’Arist. HA, 541 a 26-31. Pour les deux autres animaux, Aristote les range parmi ceux qui se reproduisent par accouplement (539 b 10-11 pour les chats, pas de mention spécifique au sein des grands quadrupèdes pour les chevaux). La remarque de Thomas de Cantimpré est d’autant plus étonnante que juments et chattes sont souvent perçues au Moyen Âge comme des exemples de luxure. et les vautours, selon le témoignage du bienheureux Ambroise, et bien d’autres animaux encore, conçoivent et procréent sans union de semences ni accouplement avec un mâle, mais seulement sous l’action du souffle et de l’odeur.[δ] Il s’agit, à tout le moins, de deux merveilles comparables, si on les rapporte à la nature et aux capacités de l’homme. Cependant la naissance virginale l’emporte avec éclat, car le Christ est Dieu tout-puissant, qui a pu naître ainsi, parce qu’il a voulu naître ainsi, tandis qu’il n’est pas d’autre raison au prodige stupéfiant du poisson echinus, que de proclamer les merveilles de Dieu dans ses créatures et de confondre ainsi la sottise des hérétiques qui ne veulent rien croire de ce qui s’écarte du cours habituel de la nature.
[η] Arist. HA, 505 b 20-24 MS
[θ] Ambr. hex.5, 9, 24
[θ] Plin. nat.9, 100
[θ] Bas. hex.7, 5, 8
[ι] Plin. nat.9, 100
[κ] TC?
[λ] Jn 7, 28
[ε] Il existe des echini [des oursins], de la famille des crustacés, à ce qu’en dit Pline, qui ont des piquants en place et usage des pieds. À la naissance, ils sont blancs autour de la couronne12explicationLe texte de Pline permet d’éclaircir cette étrange indication : il ne s’agit pas d’une couronne, mais de la ville de Torone (Toronen), en Chalcidique, où l’on trouve des oursins blancs (Sphaerecinus granularis Lamarck, 1816).. Leurs œufs sont amers et au nombre de cinq13explicationDe Saint-Denis 1955, 131, explique qu’il ne s’agit pas des œufs mais des organes reproducteurs de l’oursin, disposés en étoile, qui forment la partie mangeable.. Ils ont la bouche au milieu du corps, ils sont de la couleur du verre et ressemblent approximativement à des scorpions14explicationCette affirmation vient sans doute d’une interprétation abusive d’informations données par Plin. nat. 9, 99-100. Pline commence par rapporter une croyance selon laquelle les crabes [cancri] morts se transforment en scorpions lorsque le soleil traverse la constellation du Cancer (Plin. nat. 9, 99). Juste après (Plin. nat. 9, 100) il ajoute qu’« au même genre appartiennent les oursins [echini] » (De Saint-Denis 1955, 69)..[ζ] Ils ont dans la bouche, en guise de dents, des piquants douloureux15explicationIl s’agit sans doute d’une indication qui remonte à l’Aristote latin mais dont les éléments auraient été très mal interprétés : Iricius vero habet quinque dentes intra os et inter illos habet partes carnosas loco linguae, « L’oursin possède cinq dents à l’intérieur de la bouche et entre les dents des parties charnues qui tiennent lieu de langue » (Arist. HA 530 b 25-26 MS).. [η] Un assez grand nombre de personnes se servent de ce poisson [rémora] pour nuire à leurs ennemis16explicationCette explication ne concerne pas l’oursin mais le rémora, auquel on prétait la vertu de rendre immobile ou impuissant et de perturber l’équilibre naturel du corps.. De fait, ce poisson n’est pas comestible : son ingestion est mortelle car il détruit l’état d’équilibre de l’homme. Ce poisson possède, sous le ventre, des nageoires qui lui servent de pieds17explicationArist. HA 505 b 20-22 affirme le contraire : « Certains prétendent qu’il a des pattes, mais c’est une erreur ; en réalité il semble en avoir parce que ses nageoires ressemblent à des pieds » (Louis 1964, 58)..[θ] Comme l’écrivent le bienheureux Ambroise, Pline et Basile le Grand, le poisson echinus [oursin] est souvent signe annonciateur de tempête ou de beau temps et il indique aux marins le temps à venir. En effet, lorsqu’il prévoit une bourrasque, il s’empare d’un solide caillou qu’il transporte à la manière d’un lest, il le traîne comme s’il s’agissait d’une ancre et il évite ainsi de se laisser emporter par les flots18explicationBien qu’on trouve souvent des oursins fixés à une pierre, ce phénomène est sans rapport avec l’annonce des tempêtes. Cette croyance remonte à l’Antiquité (par exemple Ael. NA 7, 33).. Ce ne sont donc pas ses propres forces qui le sauvent, mais il garde son équilibre et la maîtrise de lui-même grâce à un poids étranger.[ι] À cette vue, les marins prennent leurs précautions et à l’exemple de l’echinus [l’oursin], ils jettent leurs ancres pour stabiliser leurs bateaux.[κ] Et ce, à l’opposé de ceux qui ne veulent pas se soumettre au gouvernement d’autrui, mais périssent sous le gouvernement de leur propre volonté !Au contraire le Christ a dit : [λ] Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m’a envoyé.
Notes d'identification :
1. Thomas de Cantimpré évoque sous le même vocable echinus deux animaux très différents, le rémora (Remora remora Linné, 1758) et l’oursin (Echinoidea Leske, 1778). Cette confusion repose sur la paronymie en latin classique des termes echeneis et echinus dont le premier désignait le rémora et le second l’oursin.
Notes de source :
3. Isidore reprend Plin. nat. 32, 2-6. |
4. Ambr. hex. 5, 9, mais il s’agit de l’oursin. |
5. JV Or. 90 ; Jacques de Vitry, l’auteur de l’Historia orientalis, fut évêque d’Acre. |
6. Aristote mentionne bien le rémora, qu’il décrit comme un petit poisson dont les nageoires ressemblent à des pieds et qu’on utilise pour les filtres, mais il ne signale pas la capacité qu’aurait ce poisson d’arrêter un navire (Arist. HA 505 b 18-22). |
7. Isid. orig. 12, 6, 34. |
8. Bas. hex. 7, 5, 5.
Notes d'explication :
2. Quinze centimètres ; le rémora commun mesure en moyenne une trentaine de centimètres et peut atteindre 60 cm. |
9. Deux cents pieds font 60 mètres ; cette mesure ne paraît pas cohérente. Au Moyen Âge, une nef mesure 25 m de longueur environ. Il faut peut-être prendre cette indication non à la lettre, mais comme le symbole d’une très grande taille. |
10. On trouve le même raisonnement chez Ambroise pour combattre ceux qui mettraient en doute l’Immaculée Conception. |
11. Ambroise ne mentionne que les vautours. La remarque sur les perdrix, fécondées simplement en flairant l’odeur du mâle, vient d’Arist. HA, 541 a 26-31. Pour les deux autres animaux, Aristote les range parmi ceux qui se reproduisent par accouplement (539 b 10-11 pour les chats, pas de mention spécifique au sein des grands quadrupèdes pour les chevaux). La remarque de Thomas de Cantimpré est d’autant plus étonnante que juments et chattes sont souvent perçues au Moyen Âge comme des exemples de luxure. |
12. Le texte de Pline permet d’éclaircir cette étrange indication : il ne s’agit pas d’une couronne, mais de la ville de Torone (Toronen), en Chalcidique, où l’on trouve des oursins blancs (Sphaerecinus granularis Lamarck, 1816). |
13. De Saint-Denis 1955, 131, explique qu’il ne s’agit pas des œufs mais des organes reproducteurs de l’oursin, disposés en étoile, qui forment la partie mangeable. |
14. Cette affirmation vient sans doute d’une interprétation abusive d’informations données par Plin. nat. 9, 99-100. Pline commence par rapporter une croyance selon laquelle les crabes [cancri] morts se transforment en scorpions lorsque le soleil traverse la constellation du Cancer (Plin. nat. 9, 99). Juste après (Plin. nat. 9, 100) il ajoute qu’« au même genre appartiennent les oursins [echini] » (De Saint-Denis 1955, 69). |
15. Il s’agit sans doute d’une indication qui remonte à l’Aristote latin mais dont les éléments auraient été très mal interprétés : Iricius vero habet quinque dentes intra os et inter illos habet partes carnosas loco linguae, « L’oursin possède cinq dents à l’intérieur de la bouche et entre les dents des parties charnues qui tiennent lieu de langue » (Arist. HA 530 b 25-26 MS). |
16. Cette explication ne concerne pas l’oursin mais le rémora, auquel on prétait la vertu de rendre immobile ou impuissant et de perturber l’équilibre naturel du corps. |
17. Arist. HA 505 b 20-22 affirme le contraire : « Certains prétendent qu’il a des pattes, mais c’est une erreur ; en réalité il semble en avoir parce que ses nageoires ressemblent à des pieds » (Louis 1964, 58). |
18. Bien qu’on trouve souvent des oursins fixés à une pierre, ce phénomène est sans rapport avec l’annonce des tempêtes. Cette croyance remonte à l’Antiquité (par exemple Ael. NA 7, 33).