Fichier nativement numérique.
Édité et traduit par Brigitte Gauvin ; Catherine Jacquemard ; Marie-Agnès Lucas-Avenel.LI. De margaritis [les perles1identificationThomas consacre ce chapitre non à un animal mais aux perles, dont la beauté est aussi appréciée au Moyen Âge que dans l’Antiquité. Il alterne cependant passages sur les perles et sur les coquillages qui les produisent. La première moitié du chapitre a pour source Solin, la seconde, Pline. Thomas ne précise jamais quel animal sécrète les perles ; tous les mollusques peuvent potentiellement en générer, mais ce sont essentiellement les huîtres, les volutes, les strombes géants et les ormeaux, en milieu marin, ou les moules perlières, en eau douce, qui fournissent des perles appréciées pour leur qualité esthétique.]
[β] Sol. coll.54, 24
[γ] Sol. coll.54, 25
[δ] Sol. coll.54, 26
[ε] Sol. coll.54, 27
[ζ] Sol. coll.54, 26
[η] Sol. coll.54, 27
[θ] Sol. coll.54, 26
[ι] Sol. coll.54, 27
[κ] Isid. orig.12, 6, 48-49
Voici quelle est l’origine des perles, à ce que dit Solin : [α] les coquilles, où on les trouve, gagnent de nuit le rivage et conçoivent les perles de la rosée du ciel2explicationSur la théorie de la fécondation de l’huître par la rosée du ciel, à l’origine de la perle, voir aussi Plin. nat. 9, 107 ; Amm. 23, 6, 85-86 ; Physiol. 23. André 1986, 210, n. 405, indique qu’il s’agit d’une légende indienne issue de la poésie sanskrite classique.. [β] Si la substance qu’elles ont recueillie est limpide, les gemmes3philologiePour rendre compte de la variété lexicale du texte latin, nous avons choisi de garder dans notre traduction le mot « gemme », calque du latin gemma, bien que le terme ait une acception plus spécialisée en français et désigne un cristal dur. sont blanches ; si elle est trouble, elles sont ternes et pâles, ou voilées de rouille.[γ] De plus, à chaque fois qu’elles reçoivent la semence de l’air matinal, la perle a plus d’éclat ; mais si c’est le soir, elle devient plus sombre ; et plus elles ont absorbé de rosée, plus elles produisent des pierres4traductionOn conserve le terme « pierre » pour traduire lapis. de grande taille5explicationUn mollusque fabrique une perle lorsqu’un corps étranger s’est glissé entre la paroi interne de sa coquille et son manteau, c’est-à-dire le tissu qui recouvre ses organes. Il se défend alors de l’agression en sécrétant de la nacre dont il enveloppe le corps étranger en couches sphériques concentriques.. Si un éclair illumine soudain les coquilles ouvertes, elles sont oppressées par une crainte intempestive et elles se renferment sous le coup d’une panique subite : alors, ou elles avortent, ou elles produisent des gemmes d’une seule pièce6traductionIl faut suspecter une erreur de transmission sur le texte de Solin (aut enim perparvuli fiunt scrupuli aut inanes), dans lequel l’adjectif rare perparvulus a pu être déformé en perpetuus..[δ] Les coquilles sont capables d’un sentiment qui les retient de souiller leur progéniture. Lorsque le sol darde des rayons brûlants et incandescents, de peur que les pierres ne soient obscurcies par un excès de chaleur, les coquilles descendent dans les profondeurs.[ε] On ne trouve jamais deux perles dans une même coquille, c’est pourquoi la plupart des gens les appellent unio7explicationLe terme unio se trouve chez Plin. 9, 112, qui donne la même étymologie. Ce nom paraît réservé à des perles particulièrement remarquables, peut-être parce qu’on ne peut les porter que seules (cf. l’appellation « solitaire » parmi les diamants). On pourrait aussi rapprocher ce mot d’un homonyme, unio, onis, l’oignon, ce qui serait une allusion à la forme de la perle (comme pirula, la petite poire, qui aurait donné « perle »). L’origine du mot est donc incertaine (Ernout-Meillet 1932, 1322, s.v. unio)..[ζ] Les averses de grêle font jaunir les pierres dans les coquilles8explicationOn peut remarquer le nombre de liens établis entre les conditions météorologiques et l’aspect des perles ; orage, soleil excessif, grêle, tout excès leur est nuisible..[η] Elles craignent les pièges des pêcheurs, si bien qu’elles se dissimulent très souvent au milieu des rochers. Elles nagent en bancs, et celle qui a le plus d’expérience prend la tête du banc. Si elle se fait attraper, les autres se dispersent.[θ] Dans l’eau, la perle est molle, mais une fois qu’elle en est retirée, elle devient dure comme une pierre.[ι] Il ne s’en trouve pas qui dépassent une demi-once9explication13 grammes environ..[κ] Par ailleurs, on prétend que, durant leur séjour dans les coquilles, elles croissent et décroissent avec la lune10explicationOn trouve la même croyance au sujet des bivalves (ch. 27, Cochlea) et des crustacés (ch. 45, Locusta)..
[ν] Plin. nat.9, 114
[ξ] TC
[ο] Plin. nat.9, 119
[π] Plin. nat.9, 120
[ρ] Plin. nat.9, 121
[ς] Plin. nat.9, 121
[σ] Plin. nat.9, 121
[λ] II existe une grande variété de blancheur. Le plus bel éloge à rendre à la couleur, c’est quand les gemmes brillent avec l’intensité de l’alun11explicationLa pierre d’alun est un cristal translucide et blanc..[μ] Il y en a qui sont oblongues parce qu’elles proviennent de coquilles de cette forme12explicationLa forme des perles n’a rien à voir avec la forme de la coquille du bivalve qui l’abrite..[ν] Les femmes s’enorgueillissent de porter à leurs doigts ou à leurs oreilles les gemmes des perles, attachées par deux ou trois. [ξ] Plongées dans le vinaigre elles se désagrègent très rapidement ; rapportons le propos de Pline sur le sujet. [ο] La dernière reine d’Égypte, Cléopâtre, possédait deux perles extraordinaires dont lui avaient fait présent des rois de l’Orient. Alors que son mari, Antoine, se gavait chaque jour de mets coûteux, la royale putain se mit à railler sa table d’un air effronté et prétendit qu’elle absorberait en un seul service six millions de sesterces, c’est-à-dire cent fois plus que lui-même à sa table13explicationSix millions de sesterces peuvent équivaloir à 4,5 millions d’euros ; 60 000 sesterces, cent fois moins, à 45 000 euros. . Le roi s’étonna de cette parole.[π] Ils firent donc un pari ; alors, Cléopâtre fit dresser une table à laquelle elle prit place et fit seulement apporter devant elle un récipient avec du vinaigre.[ρ] Elle retira de ses oreilles une seule perle.[ς] Après qu’elle l’eut jetée dans le vinaigre, la perle se décomposa en se liquéfiant et la reine l’avala.[σ] Elle porta aussitôt la main à l’autre, mais Plancus, qui arbitrait le pari royal, ne voulut pas que disparût ce chef d’œuvre de la nature et il proclama la défaite d’Antoine.[τ] Cette pierre, broyée et préparée selon la recette appropriée, guérit les maux d’estomac. Elle possède, à ce qu’on prétend, une vertu pacificatrice et confère une bonne santé mentale et physique, une bonne santé mentale notamment, car elle rend chaste celui qui la porte14explicationDans le monde chrétien, on a toujours loué la perle comme un symbole de pureté, d’humilité et de crainte de Dieu. Les premiers chrétiens ont transformé un mythe ancien de l’origine divine dans une métaphore de la naissance du Christ, faisant de la perle un emblème tant du Christ que de la Vierge. La perle a aussi représenté l’âme incarnée dans un corps terrestre, symbole de pureté enchâssé dans un corps impur..
Notes philologiques :
3. Pour rendre compte de la variété lexicale du texte latin, nous avons choisi de garder dans notre traduction le mot « gemme », calque du latin gemma, bien que le terme ait une acception plus spécialisée en français et désigne un cristal dur.
Notes d'identification :
1. Thomas consacre ce chapitre non à un animal mais aux perles, dont la beauté est aussi appréciée au Moyen Âge que dans l’Antiquité. Il alterne cependant passages sur les perles et sur les coquillages qui les produisent. La première moitié du chapitre a pour source Solin, la seconde, Pline. Thomas ne précise jamais quel animal sécrète les perles ; tous les mollusques peuvent potentiellement en générer, mais ce sont essentiellement les huîtres, les volutes, les strombes géants et les ormeaux, en milieu marin, ou les moules perlières, en eau douce, qui fournissent des perles appréciées pour leur qualité esthétique.
Notes d'explication :
2. Sur la théorie de la fécondation de l’huître par la rosée du ciel, à l’origine de la perle, voir aussi Plin. nat. 9, 107 ; Amm. 23, 6, 85-86 ; Physiol. 23. André 1986, 210, n. 405, indique qu’il s’agit d’une légende indienne issue de la poésie sanskrite classique. |
5. Un mollusque fabrique une perle lorsqu’un corps étranger s’est glissé entre la paroi interne de sa coquille et son manteau, c’est-à-dire le tissu qui recouvre ses organes. Il se défend alors de l’agression en sécrétant de la nacre dont il enveloppe le corps étranger en couches sphériques concentriques. |
7. Le terme unio se trouve chez Plin. 9, 112, qui donne la même étymologie. Ce nom paraît réservé à des perles particulièrement remarquables, peut-être parce qu’on ne peut les porter que seules (cf. l’appellation « solitaire » parmi les diamants). On pourrait aussi rapprocher ce mot d’un homonyme, unio, onis, l’oignon, ce qui serait une allusion à la forme de la perle (comme pirula, la petite poire, qui aurait donné « perle »). L’origine du mot est donc incertaine (Ernout-Meillet 1932, 1322, s.v. unio). |
8. On peut remarquer le nombre de liens établis entre les conditions météorologiques et l’aspect des perles ; orage, soleil excessif, grêle, tout excès leur est nuisible. |
9. 13 grammes environ. |
10. On trouve la même croyance au sujet des bivalves (ch. 27, Cochlea) et des crustacés (ch. 45, Locusta). |
11. La pierre d’alun est un cristal translucide et blanc. |
12. La forme des perles n’a rien à voir avec la forme de la coquille du bivalve qui l’abrite. |
13. Six millions de sesterces peuvent équivaloir à 4,5 millions d’euros ; 60 000 sesterces, cent fois moins, à 45 000 euros. |
14. Dans le monde chrétien, on a toujours loué la perle comme un symbole de pureté, d’humilité et de crainte de Dieu. Les premiers chrétiens ont transformé un mythe ancien de l’origine divine dans une métaphore de la naissance du Christ, faisant de la perle un emblème tant du Christ que de la Vierge. La perle a aussi représenté l’âme incarnée dans un corps terrestre, symbole de pureté enchâssé dans un corps impur.