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XXIII. De carpera [la carpe1]

2. [α] LR
[α] La carpe (carpo ou carpera)2, à ce qu’en dit le Livre de la nature, passe pour tirer son nom de sa nature. Elle mérite en effet son nom de carpe car elle se reproduit par ingestion3. C’est un poisson des étangs et des rivières avec de larges écailles qu’on dirait dorées. Quand ce poisson, guidé par son instinct, sent que ses œufs, dans son ventre, sont prêts à être fécondés, il va trouver le poisson mâle et, des lèvres, en lui donnant de légers coups, il lui signifie de l’aider à se reproduire. Le mâle, comprenant son comportement, expulse alors le lait qui constitue sa semence. La femelle recueille dans sa bouche le liquide émis et elle pond aussitôt des œufs qui donneront naissance à des petits. Car la femelle ne peut pas pondre d’œufs si elle n’a pas auparavant recueilli la semence. Or la semence qui a été recueillie semble aider non seulement à la ponte, mais aussi à la conception et à la formation des œufs dont on espère une descendance l’année suivante4. Chez le petit de la carpe, il arrive parfois, la première année de son existence, qu’un petit ver noir infectieux se loge derrière les ouïes – le plus souvent après le mois d’août –, et que l’infection provoquée entraîne la mort5. Le remède à cela, c’est une eau douce et courante. Les petits de la carpe naissent en eau peu profonde. Selon une opinion très répandue, si on dispose de petites fosses de neuf ou dix coudées de longueur, neuves ou récentes, et qu’on place dans chaque fosse deux partenaires, c’est-à-dire un mâle et une femelle, il leur vient des petits. Et il faut bien noter qu’on ne doit déposer les carpes dans les fosses que juste avant la ponte. Mais dès qu’elles ont pondu, on les retire. Et quand les petits, qui sont venus au monde, ont pris des forces, au bout de trois ou quatre mois, ils sont replacés dans des fosses où ils vont grandir avec les adultes6. On prétend que le cerveau des carpes croît et décroît selon l’augmentation et la diminution de la lune ; et bien que ce soit vrai chez tous les poissons, c’est cependant plus net chez la carpe, comme, au dire de certains, chez le loup et le chien, parmi les quadrupèdes.
3. [β]  LR?
[β] La carpe est un poisson plein d’astuce lorsqu’ il veut sortir du filet où il va être attrapé. En effet, quand il est entré dans un filet, il en fait le tour à la recherche d’un trou. Et s’il n’en trouve pas, il s’efforce de bondir dans les airs au-dessus du filet pour retomber à l’extérieur. S’il n’y réussit pas, il cherche un passage sous le filet ; et s’il échoue par là aussi, il agrippe de l’herbe au fond de l’eau, pour éviter le filet à son passage7. Et si, parfois, il ne réussit pas non plus de cette façon, il tente ce dernier recours : il prend son élan depuis la surface et s’enfonce avec assez de force la tête dans la vase, pour qu’ainsi le filet passe le long de sa queue et manque sa prise. Il y a donc cinq manières dont l’astucieux poisson tente de s’échapper8. Il représente l’astuce aux cinq facettes9 dont usent les hommes pleins de malice chaque fois qu’ils cherchent des subterfuges pour ne pas se laisser prendre aux filets du verbe divin. Nous laissons au lecteur savant le soin d’exposer ces cinq parties.