CopierCopier dans le presse-papierPour indiquer l’adresse de consultation« Albert Le Grand - Les animaux — Livre XXIV. Les animaux aquatiques.  », in Bibliothèque Ichtya, état du texte au 16/09/2024. [En ligne : ]
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Édité et traduit par Brigitte Gauvin.

<Anguilla [l’anguille1identificationIl s’agit de l’anguille (Anguilla anguilla Linné, 1758).]>

Source : TC, De anguilla (7, 2).
Lieux parallèles : VB, De anguilla (17, 31) ; HS, Anguilla (4, 2).
2. [α] Isid. orig.12, 6, 412sources« Sa ressemblance avec un serpent (anguis) a donné son nom à l’anguille (anguilla) » (André 1986, 204).
[β] Isid. orig.12, 6, 413sources« […] Le fleuve du Gange, en Orient, donne naissance, dit-on, à des anguilles de trente pieds » (André 1986, 204).
3. [α] L’anguille est un poisson qui tire son nom du mot anguis [serpent] parce qu’elle a l’aspect du serpent. [β] C’est un poisson si long qu’on prétend que certaines anguilles, dans le Gange, font trente pieds4explicationLe texte original d’Isidore de Séville reproduit une information de Solin sur la longueur exceptionnelle (trente pieds) des anguilles du Gange. ; elle n’a pas d’écailles, mais possède une peau lisse et épaisse ; si on l’écorche, elle a meilleur goût, surtout quand elle est grillée, car elle perd alors sa trop grande humidité.
3. [γ] Plin. nat.10, 1895sources« Il n’y a, dans cette espèce [les salamandres], ni mâles, ni femelles, de même que chez les anguilles et chez tous les animaux qui ne sont ni vivipares, ni ovipares ».
[δ] AM
[γ] Il n’y a chez ce poisson, dit-on, ni mâle ni femelle6explicationLa reproduction des anguilles, qui fraient dans la mer des Sargasses, éloignée de 4 000 ou 7 000 km de leur habitat, n’est connue que depuis peu de temps, ce qui explique les différentes explications fournies dans ce chapitre sur une possible reproduction spontanée. Les caractères sexuels ne deviennent visibles chez l’adulte qu’au moment où les anguilles migrent vers leur lieu de reproduction. Après celle-ci, les civelles issues de la métamorphose des larves émigrent des eaux salées de l’Atlantique vers les eaux saumâtres, les unes restant dans les estuaires, les autres gagnant les eaux douces des rivières et des fleuves. Bien des zones d’ombre demeurent cependant à ce sujet, entre autres le fait qu’on n’ait jamais observé d’anguille adulte dans la mer des Sargasses. ; [δ] j’ai cependant entendu à deux reprises des témoins dignes de foi dire qu’on a pêché quelque part en Allemagne deux anguilles qui avaient toutes deux, dans leur matrice, de grandes quantités de fils, et que, lorsqu’on les a tuées, nombre d’anguilles sont sorties du ventre de leur mère7traductionLe terme filaris ne figure pas dans les dictionnaires. Kitchell & Resnick, sans le commenter, le traduisent par great quantities of threadlike creatures, « une grande quantité de créatures filiformes ». Faudrait-il lire filaciis, de filacium, devenu filacis puis filaris ? La description correspond à ce que sont les larves de l’anguille avant l’évolution en civelles, mais compte tenu du peu que nous savons de la reproduction de l’anguille, l’anecdote est peu vraisemblable. Les crétures observées étaient peut-être des parasites de l’anguille à l’apparence de vers, qui envahissent la cavité abdominale (voir Arist. HA 570 a 13-15 : « Cependant certaines gens pensent qu’elles se reproduisent parce qu’on trouve dans quelques anguilles de petits vers intestinaux : ils croient que c’est de ces petits vers que naissent les anguilles », Louis 1968, 97). Le mystère qui entoure la reproduction de l’anguille, évoquée à de très nombreuses reprises dans les vingt premiers livres du De animalibus, amène Albert le Grand à se contredire. Tantôt il évoque une grande quantité de créatures filiformes trouvées dans le ventre de l’anguille (DA, 6, 2, 71), tantôt il assure que l’anguille n’a pas d’organes sexuels ni de différenciation sexuée et qu’on ne trouve pas d’oeufs ni de laitance dans son corps (DA, 6, 2, 60 ; 6, 2, 87-88), tantôt il évoque une génération spontanée dans laquelle l’anguille naîtrait du limon..
4. [ε] AM
[ε] Dans le Danube, il n’y a pas d’anguilles, pas plus que dans les affluents de ce fleuve : et, dit-on, elles meurent si on les y importe. Dans tous les autres fleuves d’Allemagne, cependant, on trouve les anguilles en grand nombre8explicationAu Moyen Âge, les anguilles étaient présentes en très grand nombre dans tous les cours d’eau d’Europe, y compris ceux du Danube..
5. [ζ] AM
[η] Isid. orig.12, 6, 419sources« Elle naît du limon » (André 1986, 204).
[θ] AM
[θ] Plin. nat.9, 160
[ι] Sol. coll.52, 4110sources« […] Le Gange produit des anguilles qui mesurent trente pieds de long. Statius Sebosius met au nombre des principaux prodiges le fait qu’y abondent des vers dont le nom, caerulei, indique la couleur. Ceux-ci ont deux bras d’au moins six coudées, si robustes qu’ils emportent dans les profondeurs les éléphants qui viennent boire au fleuve, en les attrapant par la trompe ». Solin lui-même avait pris ses informations chez Plin. nat. 9, 46 : « On appelle “platanistes” des animaux qu’on trouve dans le Gange, en Inde ; ils sont pourvus d’un rostre et d’une queue de dauphin, mais mesurent seize coudées de long. Selon Statius Sebosus, il y a dans le même fleuve, grande merveille, des vers pourvu de deux bras, longs de six coudées, les caerulei, qui doivent leur nom à leur aspect. Ils ont tant de force qu’ils entraînent avec eux les éléphants venus boire en les attrapant par la trompe ».
[κ] AM
[λ] AM
L’anguille a peur quand le tonnerre gronde, [ζ] et alors elle nage du fond vers la surface de l’eau ; pour cette raison, si on jette alors les filets dans les étangs où vivent les anguilles, presque toutes se font prendre, au point qu’il n’y en a plus dans l’eau. [η] Certains disent que l’anguille naît de la boue, [θ] certains des vers de terre, certains des déchets des poissons. [ι] De là vient que dans le Gange, où les anguilles sont grandes, se trouvent aussi, dit-on, des vers qui ont des pattes avant fourchues comme celles des crabes, qui mesurent six coudées, attrapent les éléphants et les entraînent sous l’eau. [κ] En hiver, l’anguille se cache dans la boue. Elle vit longtemps hors de l’eau11zoologieLes capacités de résistance des anguilles sont bien connues et réellement étonnantes. Elles peuvent supporter un long séjour à l’air, car elles n’ont pas d’écailles, et sont recouvertes d’un mucus abondant, ce qui les protège de la dessiccation. et surtout lorsque souffle le vent du nord. [λ] Parfois même elle sort de l’eau pour gagner les champs où on a semé des pois ou des pois chiches : mais elle ne peut ramper sur les cendres ou le sable sec. L’harmonie et l’uniformité de son corps font qu’elle se reproduit très facilement et que, si on la coupe en morceaux, elle vit longtemps12explicationIl y a peut-être ici confusion avec le lombric, auquel une croyance populaire prête le pouvoir de se régénérer en deux vers si on le coupe en deux ; en réalité, seule une partie peut survivre et se régénérer, celle qui contient les organes vitaux, c’est-à-dire la tête et les organes sexuels. : et nous avons exposé ailleurs la cause de ce phénomène13explicationOn trouve dans AM, DA, 14, 2, 83 le fait que les anguilles peuvent vivre longtemps hors de l’eau grâce à leur système de branchies, mais nulle part n’est évoqué le fait que les anguilles peuvent vivre coupées en deux.. Et bien qu’elle naisse dans la boue et qu’elle s’y plaise, elle a cependant horreur de l’eau trouble et aime à vivre dans l’eau claire.

Notes d'identification :

1. Il s’agit de l’anguille (Anguilla anguilla Linné, 1758).

Notes de source :

2. « Sa ressemblance avec un serpent (anguis) a donné son nom à l’anguille (anguilla) » (André 1986, 204). | 

3. « […] Le fleuve du Gange, en Orient, donne naissance, dit-on, à des anguilles de trente pieds » (André 1986, 204). | 

5. « Il n’y a, dans cette espèce [les salamandres], ni mâles, ni femelles, de même que chez les anguilles et chez tous les animaux qui ne sont ni vivipares, ni ovipares ». | 

9. « Elle naît du limon » (André 1986, 204). | 

10. « […] Le Gange produit des anguilles qui mesurent trente pieds de long. Statius Sebosius met au nombre des principaux prodiges le fait qu’y abondent des vers dont le nom, caerulei, indique la couleur. Ceux-ci ont deux bras d’au moins six coudées, si robustes qu’ils emportent dans les profondeurs les éléphants qui viennent boire au fleuve, en les attrapant par la trompe ». Solin lui-même avait pris ses informations chez Plin. nat. 9, 46 : « On appelle “platanistes” des animaux qu’on trouve dans le Gange, en Inde ; ils sont pourvus d’un rostre et d’une queue de dauphin, mais mesurent seize coudées de long. Selon Statius Sebosus, il y a dans le même fleuve, grande merveille, des vers pourvu de deux bras, longs de six coudées, les caerulei, qui doivent leur nom à leur aspect. Ils ont tant de force qu’ils entraînent avec eux les éléphants venus boire en les attrapant par la trompe ».

Notes d'explication :

4. Le texte original d’Isidore de Séville reproduit une information de Solin sur la longueur exceptionnelle (trente pieds) des anguilles du Gange. | 

6. La reproduction des anguilles, qui fraient dans la mer des Sargasses, éloignée de 4 000 ou 7 000 km de leur habitat, n’est connue que depuis peu de temps, ce qui explique les différentes explications fournies dans ce chapitre sur une possible reproduction spontanée. Les caractères sexuels ne deviennent visibles chez l’adulte qu’au moment où les anguilles migrent vers leur lieu de reproduction. Après celle-ci, les civelles issues de la métamorphose des larves émigrent des eaux salées de l’Atlantique vers les eaux saumâtres, les unes restant dans les estuaires, les autres gagnant les eaux douces des rivières et des fleuves. Bien des zones d’ombre demeurent cependant à ce sujet, entre autres le fait qu’on n’ait jamais observé d’anguille adulte dans la mer des Sargasses. | 

8. Au Moyen Âge, les anguilles étaient présentes en très grand nombre dans tous les cours d’eau d’Europe, y compris ceux du Danube. | 

12. Il y a peut-être ici confusion avec le lombric, auquel une croyance populaire prête le pouvoir de se régénérer en deux vers si on le coupe en deux ; en réalité, seule une partie peut survivre et se régénérer, celle qui contient les organes vitaux, c’est-à-dire la tête et les organes sexuels. | 

13. On trouve dans AM, DA, 14, 2, 83 le fait que les anguilles peuvent vivre longtemps hors de l’eau grâce à leur système de branchies, mais nulle part n’est évoqué le fait que les anguilles peuvent vivre coupées en deux.

Notes de traduction :

7. Le terme filaris ne figure pas dans les dictionnaires. Kitchell & Resnick, sans le commenter, le traduisent par great quantities of threadlike creatures, « une grande quantité de créatures filiformes ». Faudrait-il lire filaciis, de filacium, devenu filacis puis filaris ? La description correspond à ce que sont les larves de l’anguille avant l’évolution en civelles, mais compte tenu du peu que nous savons de la reproduction de l’anguille, l’anecdote est peu vraisemblable. Les crétures observées étaient peut-être des parasites de l’anguille à l’apparence de vers, qui envahissent la cavité abdominale (voir Arist. HA 570 a 13-15 : « Cependant certaines gens pensent qu’elles se reproduisent parce qu’on trouve dans quelques anguilles de petits vers intestinaux : ils croient que c’est de ces petits vers que naissent les anguilles », Louis 1968, 97). Le mystère qui entoure la reproduction de l’anguille, évoquée à de très nombreuses reprises dans les vingt premiers livres du De animalibus, amène Albert le Grand à se contredire. Tantôt il évoque une grande quantité de créatures filiformes trouvées dans le ventre de l’anguille (DA, 6, 2, 71), tantôt il assure que l’anguille n’a pas d’organes sexuels ni de différenciation sexuée et qu’on ne trouve pas d’oeufs ni de laitance dans son corps (DA, 6, 2, 60 ; 6, 2, 87-88), tantôt il évoque une génération spontanée dans laquelle l’anguille naîtrait du limon.