Fichier nativement numérique.
Édité et traduit par Brigitte Gauvin.<Lepus marinus [le « lièvre de mer » : l’aplysie ; le diodon ; le rouget grondin1identificationDans le livre 9, Pline semble distinguer deux types de lièvres de mer, l’un qui vit dans les mers occidentales, l’autre dans les mers de l’Inde (in nostro mari offa informis, colore tantum lepori similis, in Indis et magnitudine et pilo, duriore tantum, « dans notre mer, c’est une boule informe, qui ne ressemble au lièvre que par la couleur ; en Inde il lui ressemble par la taille et le poil, qui est seulement plus dur » (Plin. nat. 9, 155)). Dans une note à ce passage, De Saint-Denis 1943, 132, identifie le lièvre avec une grosse limace de mer, l’aplysie (Aplysia Linné, 1758), qu’il décrit ainsi : « tête portée sur un cou plus ou moins long ; deux tentacules supérieurs et creusés comme les oreilles de quadrupède ; une glande particulière verse, par un orifice situé près de la vulve, une humeur limpide qu’on dit fort âcre dans certaines espèces ». Les espèces depilans et leporina seraient particulièrement nocives. On trouve aussi dans De Saint-Denis 1947, 54-55, la description de J. Oberthür : « Le lièvre de mer atteint la taille d’un petit levraut. Lorsqu’elle [l’aplysie] bosse le dos, tapie dans l’herbier, avec sa couleur fauve, camouflée de taches jaune clair, on dirait un peu un capucin au gîte, dans l’herbe de la prairie, d’autant plus que l’aplysie rabat d’avant en arrière ses cornes allongées et aplaties comme des oreilles ». Cependant, peu avant de traiter du lièvre de mer, Pline a consacré un court passage à l’aplysie, qu’il classe dans les éponges et ne semble pas associer au lièvre (Pessimum omnium genus est earum quae aplysiae uocantur, quia elui non possunt ; in quibus magnae sunt fistulae et reliqua densitas spissa, « la pire espèce de toutes est celle qu’on appelle aplysie, parce qu’on ne peut la nettoyer ; elle a de longs tuyaux, et pour le reste elle forme une masse compacte » (Plin. nat. 9, 150). Dans leur commentaire à Albert le Grand – qui lui aussi distingue deux types de lièvre de mer, réunis dans un même chapitre –, Kitchell & Resnick 1999, 1688, suivent D’Arcy Thompson 1947, 142-143, et suggèrent que le lièvre très toxique de l’océan Indien pourrait être le poisson-globe (Diodon Linné, 1758), et le lièvre moins dangereux des mers occidentales, l’aplysie. Il faut ajouter à ces deux animaux un troisième, le rouget grondin, à propos duquel Albert le Grand rédige quelques lignes en fin de rubrique. ?]>
[β] Plin. nat.9, 1552sources« Et il existe de nombreux poisons redoutables, comme le lièvre qui, dans l’océan Indien, empoisonne par simple contact et provoque aussitôt les vomissements et troubles d’estomac ; dans notre mer, c’est une boule informe, qui ne ressemble au lièvre que par la couleur ; en Inde il lui ressemble par la taille et le poil, qui est seulement plus dur […] Mais aucun poison n’est plus terrible que l’aiguillon, long de cinq pouces, qui saille sur la queue du trygon, que chez nous on appelle pastenague : il fait périr les arbres si on le plante dans la racine, il transperce les armures comme un trait, il est doté de la dureté du fer et de la nocivité du venin. »
72. [α] Il existe plusieurs sortes de lièvres de mer : [β] selon Pline, en effet, certains, dans l’océan Indien, ont une peau hirsute, un poil très dur, et sont si toxiques que les toucher suffit à provoquer des vomissements et un relâchement de l’estomac3explicationTrès indigeste, l’aplysie peut provoquer de violentes coliques et même la mort.. Dans notre mer, cet animal n’est pas aussi toxique. Il existe un poisson très venimeux, appelé « pastenague », qui affronte ce poisson en même temps que d’autres : ce poisson en effet pique les autres comme avec un fer empoisonné, et les autres poissons le fuient si farouchement qu’ils se heurtent aux racines des arbres parce qu’il n’existe pas de remède connu contre sa morsure4explicationLe contresens par rapport au texte de Pline, qui se contentait d’énumérer des animaux nocifs, dont la pastenague, sans lien entre eux, est déjà présent dans le texte de Thomas de Cantimpré..
[δ] AM
[γ] Il existe un autre lièvre <marin> qui, par sa tête, ressemble au lièvre <terrestre>, mais qui, pour le reste du corps, est un poisson ; [δ] il est inoffensif, il a une peau rougeâtre, une chair dure et indigeste, et on prétend qu’il provoque la lèpre ; nous avons coutume de l’appeler gernellum. Et il a à l’avant du corps, derrière la tête, quatre nageoires : deux dont le mouvement suit la longueur du poisson et qui sont longues comme les oreiles d’un lièvre ; et deux dont le mouvement s’opère du dos vers le ventre, dans le sens de la largeur du poisson ; c’est grâce à celles-ci qu’il se redresse à l’avant, à cause du poids de sa tête, excessif en regard du reste de son corps6explicationCe dernier passage, qui est de la plume d’Albert le Grand, pose problème. Le gernellum qu’il présente a tout du rouget grondin, comme Gesner l’avait déjà remarqué (Sunt qui (ut Albertus) Gronaut vulgo dictum leporem marinum esse putent (quem piscem Rondeletius lyram facit), Nomenclator, 193). L’association à la lèpre, tout à fait fantaisiste, vient à la fois de ce que dit Pline et de la proximité phonétique entre les termes lepus, oris, le lièvre, et lepra, ae, f, la lèpre, selon un phénomène d’assimilation fréquent au Moyen Âge (voir Le Cornec Rochelois 2008, 130 ; 184)..
Notes d'identification :
1. Dans le livre 9, Pline semble distinguer deux types de lièvres de mer, l’un qui vit dans les mers occidentales, l’autre dans les mers de l’Inde (in nostro mari offa informis, colore tantum lepori similis, in Indis et magnitudine et pilo, duriore tantum, « dans notre mer, c’est une boule informe, qui ne ressemble au lièvre que par la couleur ; en Inde il lui ressemble par la taille et le poil, qui est seulement plus dur » (Plin. nat. 9, 155)). Dans une note à ce passage, De Saint-Denis 1943, 132, identifie le lièvre avec une grosse limace de mer, l’aplysie (Aplysia Linné, 1758), qu’il décrit ainsi : « tête portée sur un cou plus ou moins long ; deux tentacules supérieurs et creusés comme les oreilles de quadrupède ; une glande particulière verse, par un orifice situé près de la vulve, une humeur limpide qu’on dit fort âcre dans certaines espèces ». Les espèces depilans et leporina seraient particulièrement nocives. On trouve aussi dans De Saint-Denis 1947, 54-55, la description de J. Oberthür : « Le lièvre de mer atteint la taille d’un petit levraut. Lorsqu’elle [l’aplysie] bosse le dos, tapie dans l’herbier, avec sa couleur fauve, camouflée de taches jaune clair, on dirait un peu un capucin au gîte, dans l’herbe de la prairie, d’autant plus que l’aplysie rabat d’avant en arrière ses cornes allongées et aplaties comme des oreilles ». Cependant, peu avant de traiter du lièvre de mer, Pline a consacré un court passage à l’aplysie, qu’il classe dans les éponges et ne semble pas associer au lièvre (Pessimum omnium genus est earum quae aplysiae uocantur, quia elui non possunt ; in quibus magnae sunt fistulae et reliqua densitas spissa, « la pire espèce de toutes est celle qu’on appelle aplysie, parce qu’on ne peut la nettoyer ; elle a de longs tuyaux, et pour le reste elle forme une masse compacte » (Plin. nat. 9, 150). Dans leur commentaire à Albert le Grand – qui lui aussi distingue deux types de lièvre de mer, réunis dans un même chapitre –, Kitchell & Resnick 1999, 1688, suivent D’Arcy Thompson 1947, 142-143, et suggèrent que le lièvre très toxique de l’océan Indien pourrait être le poisson-globe (Diodon Linné, 1758), et le lièvre moins dangereux des mers occidentales, l’aplysie. Il faut ajouter à ces deux animaux un troisième, le rouget grondin, à propos duquel Albert le Grand rédige quelques lignes en fin de rubrique.
Notes de source :
2. « Et il existe de nombreux poisons redoutables, comme le lièvre qui, dans l’océan Indien, empoisonne par simple contact et provoque aussitôt les vomissements et troubles d’estomac ; dans notre mer, c’est une boule informe, qui ne ressemble au lièvre que par la couleur ; en Inde il lui ressemble par la taille et le poil, qui est seulement plus dur […] Mais aucun poison n’est plus terrible que l’aiguillon, long de cinq pouces, qui saille sur la queue du trygon, que chez nous on appelle pastenague : il fait périr les arbres si on le plante dans la racine, il transperce les armures comme un trait, il est doté de la dureté du fer et de la nocivité du venin. » |
5. « Le lièvre est nommé d’après la ressemblance de sa tête. »
Notes d'explication :
3. Très indigeste, l’aplysie peut provoquer de violentes coliques et même la mort. |
4. Le contresens par rapport au texte de Pline, qui se contentait d’énumérer des animaux nocifs, dont la pastenague, sans lien entre eux, est déjà présent dans le texte de Thomas de Cantimpré. |
6. Ce dernier passage, qui est de la plume d’Albert le Grand, pose problème. Le gernellum qu’il présente a tout du rouget grondin, comme Gesner l’avait déjà remarqué (Sunt qui (ut Albertus) Gronaut vulgo dictum leporem marinum esse putent (quem piscem Rondeletius lyram facit), Nomenclator, 193). L’association à la lèpre, tout à fait fantaisiste, vient à la fois de ce que dit Pline et de la proximité phonétique entre les termes lepus, oris, le lièvre, et lepra, ae, f, la lèpre, selon un phénomène d’assimilation fréquent au Moyen Âge (voir Le Cornec Rochelois 2008, 130 ; 184).