CopierCopier dans le presse-papierPour indiquer l’adresse de consultation« Albert Le Grand - Les animaux — Livre XXIV. Les animaux aquatiques.  », in Bibliothèque Ichtya, état du texte au 21/11/2024. [En ligne : ]
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Édité et traduit par Brigitte Gauvin.

<Testudines [les tortues de mer1identificationLa testudo est la tortue marine (Chelonioidea Bauer, 1893). Cf. De Saint-Denis 1947, 112 ; Kitchell & Resnick 1999, 1702-1703 et n. 302. Chelonioidea est le nom d’une super-famille qui comprenait autrefois cinq familles constituées de plusieurs dizaines d’espèces. Il ne subsiste actuellement que deux familles sur cinq et sept espèces qui se répartissent entre ces deux familles.]>

Source : TC, De testudine maris Indie (6, 49).
Renvois internes : cf. Barchera, ch. 19 ; Testeum, ch. 125 ; Tortuca, ch. 126 ; Zytyron, ch. 138.
Lieux parallèles : VB, De testudine marina (17, 131) ; HS, Testudo (4, 95).
2. [α] Plin. nat.9, 352sources« L’océan Indien donne naissance à des tortues d’une telle dimension qu’ils couvrent des cabanes où ils habitent avec la carapace d’une seule d’entre elles, et on navigue en particulier entre les îles de la mer Rouge avec ces carapaces comme barques. »
123. [α] La mer de l’Inde contient des tortues de mer aux carapaces si larges que quelques-unes d’entre elles, utilisées comme toit, suffisent à abriter des hommes. Entre les îles, on navigue même parfois dans ces carapaces comme dans des barques.
3. [β] Plin. nat.9, 353sources« On les attrape de différentes manières, mais surtout lorsqu’elles viennent à la surface de la mer, à l’heure agréable qui précède midi ; le dos tout entier hors de l’eau, elles flottent sur les eaux calmes ; le plaisir de respirer à l’air libre les trompe et elles s’oublient à tel point que leur carapace se dessèche à la chaleur du soleil : elles ne peuvent plus alors plonger et flottent malgré elles, devenant une proie facile pour les chasseurs. »
[γ] Plin. nat.9, 364sources« On rapporte qu’elles sortent la nuit pour manger, que, lorsqu’elles se sont largement rassasiées, elles sont lasses et s’endorment à la surface de l’eau lorsqu’elles reviennent au matin ; le bruit de leurs ronflements signale leur présence ; alors on nage… et trois hommes s’approchent doucement de chaque tortue ; deux la retournent sur le dos, le troisième lui passe un de lorsqu’elle est retournée et ainsi, de la terre, plusieurs hommes la halent. »
[β] Voilà comment, selon Pline, on capture ces tortues : jouissant en effet de la chaleur du soleil, elles nagent en laissant tout le dos de leur carapace à la surface de l’eau, jusqu’au moment où elles se dessèchent tant qu’elles ne peuvent plus s’immerger ; et alors elles flottent malgré elles jusqu’à tomber dans les mains de ceux qui les guettent. [γ] Certains disent aussi que ces tortues sortent la nuit pour se nourrir et que, repues, elles s’endorment, en nageant, à la surface de l’eau. On se réunit alors en très grand nombre pour l’attraper ; trois hommes nagent vers la tortue ; deux d’entre eux, après avoir attrapé la carapace, la retournent de manière à ce que la tortue5traductionOstreum désigne ici la carapace, par métonymie. gise sur le dos ; le troisième jette un lacet autour de la tête de l’animal ou du membre qui lui tient lieu de cou, et les autres, qui se tiennent sur le rivage, le halent jusqu’à terre.
4. [δ] Plin. nat.9, 376sources« La tortue n’a pas de dents, mais les bords de son bec sont tranchants, et la partie supérieure se referme comme une boîte sur la partie inférieure. Dans la mer elles se nourrissent de coquillages ; leur bec est si dur qu’elles broient les pierres. »
[δ] Cette tortue de mer, qu’elle soit petite ou grande, n’a pas de dents, mais les bords de son bec sont si aigus que la partie supérieure et la partie inférieure se ferment comme une boîte ; et la dureté de son bec est telle, dit-on, qu’il broie même les pierres.
5. [ε] Plin. nat.9, 377sources« Elles pondent des œufs semblables à des œufs d’oie, jusqu’à une centaine ; elles les déposent dans un trou, hors de l’eau, les recouvrent de terre, qu’elles tassent et aplanissent de leur poitrine ; elles les couvent la nuit. Elles élèvent leurs petits pendant un an. Certains pensent qu’elles couvent leurs œufs du regard, que les femelles fuient l’accouplement jusqu’à ce que le mâle leur pose sur le dos un fétu. »
[ε] Toujours selon Pline,ces animaux s’unissent comme le bétail, et la femelle supporte mal l’accouplement jusqu’à ce que le mâle place des brins de paille dans la bouche de la femelle qui lui tourne le dos8explicationDe Saint-Denis 1955, 50, traduit le passage de Pline donec mas festucam aliquam inponat auersae par : « jusqu’à ce que le mâle place sur leur dos un fétu », et indique (ibid. 108, § 37, n. 1) que, si les données sont empruntées à Arist. HA 540 a 27-31, celui-ci « ne dit pas que la femelle résiste au mâle et le détail donec mas festucam aliquam inponat aversae est bizarre : est-ce une déformation de la phrase où Aristote dit que le mâle et la femelle possèdent un organe où se réunissent, dans l’accouplement, les canaux générateurs ? [cf. trad. Louis 1968, 5] ». Notons que ni la traduction de De Saint-Denis, ni le commentaire n’éclairent vraiment le passage. Faudrait-il voir dans festuca une métaphore pour désigner l’organe reproducteur du mâle ? Cela paraît étonnant. Albert le Grand, contrairement à Thomas de Cantimpré, met au pluriel le terme festuca, ce qui semble indiquer qu’il n’a pas lu le passage comme une scène d’accouplement, d’où notre traduction.. Elles sortent à terre pour pondre des œufs de la taille d’un œuf d’oie9explicationPlin. nat. 9, 37 dit : « semblables à ceux des oiseaux (auium) » (De Saint-Denis 1955, 49) ; et Arist. HA 558 a 5-6 : « de deux couleurs comme ceux des oiseaux » (Louis 1968, 59)., cent ou plus ; la femelle les enfouit dans la terre hors de l’eau, et parfois, la nuit, elle se couche sur eux ; et pour cette raison, certains prétendent qu’elle couve ses œufs du regard, ce qui est faux. Les tortues de mer élèvent leurs petits pendant un an et les mènent à l’eau10explicationDans la réalité, il n’existe pas de soin parental chez les tortues. Une seule espèce, la tortue brune de Birmanie (Manouria emys Schlegel et Müller, 1844), veille sur le nid pendant les premières semaines pour en écarter les prédateurs. Au bout d’un mois, néanmoins, elle abandonne le nid et les œufs qu’il contient. Le souci parental des tortues est un fantasme né au Moyen Âge à partir des observations d’Aristote, signe que les encyclopédistes sont aisément amenés à prêter aux animaux des comportements de parentalité active et attentionnée. Sur ce sujet, voir Gauvin 2021..

Notes d'identification :

1. La testudo est la tortue marine (Chelonioidea Bauer, 1893). Cf. De Saint-Denis 1947, 112 ; Kitchell & Resnick 1999, 1702-1703 et n. 302. Chelonioidea est le nom d’une super-famille qui comprenait autrefois cinq familles constituées de plusieurs dizaines d’espèces. Il ne subsiste actuellement que deux familles sur cinq et sept espèces qui se répartissent entre ces deux familles.

Notes de source :

2. « L’océan Indien donne naissance à des tortues d’une telle dimension qu’ils couvrent des cabanes où ils habitent avec la carapace d’une seule d’entre elles, et on navigue en particulier entre les îles de la mer Rouge avec ces carapaces comme barques. » | 

3. « On les attrape de différentes manières, mais surtout lorsqu’elles viennent à la surface de la mer, à l’heure agréable qui précède midi ; le dos tout entier hors de l’eau, elles flottent sur les eaux calmes ; le plaisir de respirer à l’air libre les trompe et elles s’oublient à tel point que leur carapace se dessèche à la chaleur du soleil : elles ne peuvent plus alors plonger et flottent malgré elles, devenant une proie facile pour les chasseurs. » | 

4. « On rapporte qu’elles sortent la nuit pour manger, que, lorsqu’elles se sont largement rassasiées, elles sont lasses et s’endorment à la surface de l’eau lorsqu’elles reviennent au matin ; le bruit de leurs ronflements signale leur présence ; alors on nage… et trois hommes s’approchent doucement de chaque tortue ; deux la retournent sur le dos, le troisième lui passe un de lorsqu’elle est retournée et ainsi, de la terre, plusieurs hommes la halent. » | 

6. « La tortue n’a pas de dents, mais les bords de son bec sont tranchants, et la partie supérieure se referme comme une boîte sur la partie inférieure. Dans la mer elles se nourrissent de coquillages ; leur bec est si dur qu’elles broient les pierres. » | 

7. « Elles pondent des œufs semblables à des œufs d’oie, jusqu’à une centaine ; elles les déposent dans un trou, hors de l’eau, les recouvrent de terre, qu’elles tassent et aplanissent de leur poitrine ; elles les couvent la nuit. Elles élèvent leurs petits pendant un an. Certains pensent qu’elles couvent leurs œufs du regard, que les femelles fuient l’accouplement jusqu’à ce que le mâle leur pose sur le dos un fétu. »

Notes d'explication :

8. De Saint-Denis 1955, 50, traduit le passage de Pline donec mas festucam aliquam inponat auersae par : « jusqu’à ce que le mâle place sur leur dos un fétu », et indique (ibid. 108, § 37, n. 1) que, si les données sont empruntées à Arist. HA 540 a 27-31, celui-ci « ne dit pas que la femelle résiste au mâle et le détail donec mas festucam aliquam inponat aversae est bizarre : est-ce une déformation de la phrase où Aristote dit que le mâle et la femelle possèdent un organe où se réunissent, dans l’accouplement, les canaux générateurs ? [cf. trad. Louis 1968, 5] ». Notons que ni la traduction de De Saint-Denis, ni le commentaire n’éclairent vraiment le passage. Faudrait-il voir dans festuca une métaphore pour désigner l’organe reproducteur du mâle ? Cela paraît étonnant. Albert le Grand, contrairement à Thomas de Cantimpré, met au pluriel le terme festuca, ce qui semble indiquer qu’il n’a pas lu le passage comme une scène d’accouplement, d’où notre traduction. | 

9. Plin. nat. 9, 37 dit : « semblables à ceux des oiseaux (auium) » (De Saint-Denis 1955, 49) ; et Arist. HA 558 a 5-6 : « de deux couleurs comme ceux des oiseaux » (Louis 1968, 59). | 

10. Dans la réalité, il n’existe pas de soin parental chez les tortues. Une seule espèce, la tortue brune de Birmanie (Manouria emys Schlegel et Müller, 1844), veille sur le nid pendant les premières semaines pour en écarter les prédateurs. Au bout d’un mois, néanmoins, elle abandonne le nid et les œufs qu’il contient. Le souci parental des tortues est un fantasme né au Moyen Âge à partir des observations d’Aristote, signe que les encyclopédistes sont aisément amenés à prêter aux animaux des comportements de parentalité active et attentionnée. Sur ce sujet, voir Gauvin 2021.

Notes de traduction :

5. Ostreum désigne ici la carapace, par métonymie.